vendredi 15 avril 2011

Les Lais du Beleriand - J.R.R. Tolkien


Bien que je ne sache pas encore ce que me réserve la suite de l’Histoire de la Terre du Milieu, je pense que les Lais du Beleriand est un des textes les plus difficiles à aborder. Ce n’est pas vraiment le contenu qui pose problème (les histoires des enfants de Hurin ou de Beren et Luthien, qui ne connait pas ?), mais plutôt la forme.

Sincèrement, quand on tient un bouquin de 800 pages dont on sait qu’il ne contient que de la poésie, il y a de quoi prendre la fuite ! Surtout que je ne sais pas vous, mais personnellement la poésie de Tolkien traduite en français (et même en anglais parfois, j’avoue avoir sauté les quatre pages de l’histoire d’Earendil dans la Communauté de l’Anneau), ça me donne envie de fuir.

Je ne suis pas terriblement sensible à ce mode d’expression en général, alors imaginez un peu ma tête quand je me suis rendue compte de ce que je m’apprêtais à lire. Heureusement, il y a deux points qui font relativiser un peu :
  • Tout le bouquin n’est pas composé de textes en vers, on y trouve comme d’habitude les commentaires de Christopher Tolkien (sur les différentes versions et leurs évolutions) et autres annexes, et il faut également enlever la moitié du Lai de Lethian au nombre de pages, pour la simple et bonne raison que…
  • Ce deuxième Lai, de loin le plus long, est disponible en version bilingue, une très bonne initiative que j’aurais aimé voir étendu à tout le livre (ce qui en aurait fait un pavé monstrueux, mais quand on aime…). Et ça, ça change tout.
    Je ne sais pas si Tolkien était un génie, ou un fou furieux, mais dans les multiples formes qu’ont pris ses récits de la Terre du Milieu, il a travaillé au début des années 20 sur des versions versifiées de ses histoires. Il aimait la poésie, c’est une évidence, mais de là à écrire des récits complets en vers, il y a un sacré gouffre qu’il n’a pas hésité à franchir.

    Même s’il abandonné assez vite son projet, il a trouvé tout de même le temps d’écrire quelques 5000 vers pour deux lais, ce qui n’est pas rien tout de même. Les Lais du Beleriand nous proposent donc de les découvrir, tous inachevés qu’ils sont.

    Le premier texte, le Lai des enfants de Hurin, s’intéresse, vous vous en doutez, à l’histoire des Enfants de Hurin, un des dadas de Tolkien. Après tout, ce n’est que la 4e version qu’on a l’occasion de découvrir ici, après celle du Silmarillion, celle des Contes et légendes inachevés, et celle des Contes perdus. On finira par le savoir, qu’ils sont maudits par le sort !

    La version en vers (plus précisément en vers allitératifs, si ça vous parle) n’apporte rien de neuf en soit (à part quelques variations de noms, de situations, etc.), mais il est certain que cela donne une certaine patine ancestrale au récit, comme s’il avait traversé les âges au lieu de juste sortir de la tête d’un professeur du XXe siècle.

    La lecture n’est cependant pas très facile en français, on sent bien que le texte perd à la traduction, en sens comme en rythme. Certains passages se sont tout de même imprimés dans ma tête, car même en français, on sentait leur force dramatique, comme lorsque Túrin est envoyé chez Thingol par sa mère :
    Les adieux sont faits ; ils tournent les talons
    vers la sombre forêt ; le foyer s’efface
    dans l’entrelac des arbres. Alors le cœur de Túrin
    s’éveille, tressaille, les pleurs l’aveuglent,
    il l’appelle : « je ne puis, je ne puis te quitter
    Morwin, ma mère, pourquoi me chasser ?
    Haïssables collines où l’espoir est perdu.
    Morwin, ô mère, je suis baigné de larmes.
    Sinistres collines, je n’ai plus de maison. »
    Au loin portaient ses cris faible appel
    par les sombres allées d’arbres mornes,
    et celle qui pleurait sans force sur son seuil
    entendit les collines dire « je n’ai plus de maison ».
    [Si vous trouvez qu’insérer des citations dans un article est chiant, sachez que la même chose en vers, c’est encore pire ! D'ailleurs la copie n'est pas très fidèle, il y a des espaces au milieu de chaque vers, mais mon blog refuse de les afficher...]

    Suite à ce texte, on trouve quelques poèmes jamais vraiment développés, sur lesquels je ne m’attarderais pas, ils sont bien trop fragmentaires pour en dire quoi que ce soit. Contrairement au deuxième gros morceau du livre, le Lai de Leithian.

    Comme son nom l’indique (à peu près), il revient sur l’autre dada de Tolkien, l’histoire de Beren et Luthien, le Roméo et Juliette de la Terre du Milieu, en plus épique et avec un final nettement plus joyeux, tout de même !

    Le découvrir versifié (en distiques octosyllabiques, si ça vous parle) est un peu une façon de revenir aux sources, car si vous avez lu Tolkien dans le bon ordre, la première fois qu’on vous a parlé de Beren et Luthien, c’était dans une chanson d’Aragorn dans la Communauté de l’Anneau.

    D’une certaine manière, la boucle est bouclée, d’autant plus qu’on retrouve pas mal d’éléments communs entre la version très abrégée proposée dans le Seigneur des Anneaux et celle des Lais de Beleriand (et ne parlons pas des parallèles entre le Lai et le Silmarillion pourtant en prose, il y en a pour des pages).

    Au début du Lai de Leithian, j’ai voulu alterner vo et vf, et très vite, j’ai abandonné la deuxième. Si on perd en compréhension à lire en anglais (les passages descriptifs ne sont pas de tout repos), la traduction français à laquelle je me suis référée de temps à autre pour identifier un mot, fait souvent pâle figure en comparaison :
    But Melian smiled, and there was pain
    as of far knowledge in her eyes ;
    for such is the sorrow of the wise
    Qui devient :
    Melian sourit, Sapience aux yeux,
    celle du sage malheureux
    Je ne doute pas que le traducteur se soit donné du mal, mais arriver à rendre autant la beauté de l’histoire que du texte, le rythme, les rimes… c’est impossible. Et finalement, en avançant dans le texte, je me suis retrouvée à apprécier les sonorités et la rythmique des mots, qui comme pour les enfants de Hurin, donne vraiment un côté ancien à l’histoire.

    Il y a des passages qui font vraiment vibrer, surtout certaines introductions de chants qui remontent parfois dans le passé, comme le moment où ils racontent le duel de Fingolfin et de Morgoth. Ou lorsque les fils de Feanor rappellent leur serment, qui se retrouve pratiquement tel quel dans le Silmarillion d’ailleurs :
    ‘Be he friend or foe, or demon wild
    of Morgoth, elf, or mortal child,
    or any that here on earth may dwell,
    no law, nor love, nor league of hell,
    no might of Gods, no binding spell,
    Shall him defend from hatred fell
    of Fëanor’s sons, whoso take or steal
    or finding keep a Silmaril.
    These we alone do claim by right
    our thrice enchanted jewels bright.’
    Le Lai de Leithian m’a vraiment plu, et c’est vraiment dommage qu’il n’ait jamais été achevé. Les bonus proposés par Christopher Tolkien, le commentaire réalisé par C.S. Lewis comme s’il commentait une sorte de réécriture de texte médiéval (que j’ai fini par sauter car j’avais du mal à le suivre dans ses mini-corrections) et une réécriture encore plus incomplète du même Lai, n’y changent rien. Mais c’est le propre de ces écrits, d’être inachevé, hélas.

    Comme pour les Contes Perdus, cela reste une lecture à réserver aux plus aficionados de Tolkien. Ce n’est pas une nouvelle histoire, juste une nouvelle version sous une forme différente, très plaisante à lire d’ailleurs (ça ne m’a même pas pris 15 jours), mais à moins d’avoir un goût très prononcé pour la poésie et les histoires à l’ancienne, cela risque de vous laisser de marbre.

    Moi, bien sûr, je suis complètement tombée sous le charme de ce texte désuet, parce que Tolkien a une jolie plume, et sait raconter de belles histoires. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, je crois que je suis définitivement perdue. On se retrouve très vite pour la suite !


    CITRIQ

    Avec tout ça, j'en suis quand même à mi chemin de mon challenge Valar ! Je vais faire une petite pause sur l'Histoire de la Terre du Milieu pour me pencher sur Faerie et autres textes, une compilation de nouvelles et d'essais de Tolkien, qui contient aussi les aventures de Tom Bombadil.

    Ce que j'ai lu :
    Les Lais du Beleriand

    Ce qu’il me reste à lire :
    Faerie et autres textes
    La Formation de la Terre du Milieu
    La Route perdue
    Les Enfants de Hurin
    La Légende de Sigurd et Gudrun
    Une étude : Sur les rivages de Terre du Milieu de Vincent Ferré
    Une oeuvre qui l'a inspiré : L'Edda
    Roverandom

    3 commentaires:

    Marion a dit…

    Moi ça m'oppresse de lire des poèmes comme ça. J'ai l'impression qu'il manque quelque chose, j'ai du mal à caler ma respiration quand je lis, du coup j'arrête de respirer en lisant xD Bref, je n'aime pas vraiment, et je crois que j'ai zappé presque toutes les chansons et autre quand je lisais le SdA. Je n'aime vraiment pas ça. Je ne dis pas que ce n'est pas beau, mais moi j'ai vraiment un soucis avec ^^

    Ptitetrolle a dit…

    Je ne savais même pas que ce livre de Tolkien existait :S
    Et dire que je n'a lu que le SDA (et une seule fois, j'ai de plus en plus envie de le relire d'ailleurs) et Bilbo tout récemment ! Qu'est-ce que tu conseillerais comme lecture pour quelqu'un qui veut connaître un peu mieux Tolkien ? Est-ce que c'est mieux de relire le SDA avant de se mettre à ses autres bouquins ?

    Vert a dit…

    @Olya
    Ca serait pas banal tiens, mourir étouffer en lisant un bouquin de Tolkien xD. C'est une question d'habitude en fait, de penser à poser des respirations de ci et de là ^^

    @Ptitetrolle
    Bah c'est pas forcément le premier qu'on cherche quand on pense à Tolkien. Si tu veux continuer ton exploration, je te conseille vivement le Silmarillion, c'est un indispensable pour faire connaissance avec toute la mythologie qu'il a créé, et c'est de loin le texte le plus abordable. Relire le SDA n'est pas indispensable avant de le lire vu qu'il se passe bien avant, mais les deux vont bien ensemble vu qu'il éclaire certains points du SDA en fait.