Je suis plutôt du genre à laisser mes livres prendre la poussière avant de les lire, mais celui-là, aussitôt acheté, aussitôt lu. Les deux premiers tomes des Chroniques des Rivages de l’Ouest, Dons et Voix, m’avaient bien plu, j’attendais donc leur suite avec impatience, et elle ne m’a pas déçu, ou si peu.
Une fois encore, c’est un tome qui pourrait se lire indépendamment des autres, car à part des caméos de personnages déjà connus du lecteur, et un monde en commun, ces trois d’histoire n’ont pas forcément de lien entre elles, même si on retrouve des idées et un schéma narratif commun.
Gavir est un esclave de la maison d’Arcamand, dans la cité-état d’Etra, dont la culture et le régime politique évoquent assez les républiques grecques ou romaines (plus grecques que romaines je pense). Jusque-là, il n’a jamais eu à se plaindre de son sort : il est vêtu et nourri correctement, il a le droit à une éducation (pour devenir précepteur des enfants de la famille), et ses maitres le traitent bien.
Mais un certain nombre d’évènements vont le pousser à remettre en question tout ce système dont il n’avait jamais douté, et sa fuite de la cité va l’emmener à travers tous les Rivages de l’Ouest visiter des endroits très différents : une cité d’esclaves libérés, les marais dont il est originaire…
J’ai l’impression de me répéter, mais c’est un fait, dès les premières pages, on tombe sous le charme de la prose de Ursula Le Guin, extrêmement agréable à lire tout en étant d’une intelligence rare pour un roman classé en « jeunesse » (techniquement c’est du jeune adulte, la couverture dit « à partir de 14 ans », mais même...). Sur le schéma traditionnel du roman d’apprentissage, elle amène des réflexions très pertinentes.
Le héros étant esclave, elle traite évidemment de la question, mais tout en subtilité au premier abord, et c’est le lecteur qui sera d’abord mal à l’aise vis-à-vis de l’existence de cet esclavage, Gavir l’accepte lui sans discuter. On se rend bien compte à quel point une situation qu'on juge anormale peut sembler naturelle à quelqu'un qui n'a connu que ça depuis son enfance.
D’ailleurs, dans un roman « classique », on aurait pu le voir se révolter contre ses maitres, libérer le reste des esclaves ou je ne sais quoi. Ce n’est pas ce qui arrive, lorsqu’il fuit, la raison est tout autre, et son but semble plus être de se trouver lui-même.
Sur son chemin, il sera confronté à un tas de question sur la liberté, la confiance, la révolte, la façon de gouverner… on retrouve également un des thèmes favoris d’Ursula Le Guin (surtout dans ce cycle), l’importance du savoir et des livres, le pouvoir des histoires (c’est d’ailleurs parce qu’il s’est construit sur ses lectures que Gavir a du mal à trouver sa place).
Bref, c’est un roman extrêmement riche et intelligent (mais plus facile d’accès que ses romans « adultes » comme Les Dépossédés par exemple), et une fois qu’on est plongé dedans, on aimerait qu’il ne finisse jamais.
La conclusion est d’ailleurs son point faible, à mon avis. On dirait qu’Ursula Le Guin, après avoir laissé errer à son gré son héros pendant 350 pages, s’est rendu compte qu’il fallait en finir, et en cinquante pages elle se raccroche aux wagons des tomes précédents, et conclut l’histoire de Gavir à la va-vite, ce qui est un peu décevant (surtout que c'est encore plus téléphoné que dans Voix).
C’est un peu dommage, mais cela n’enlève rien aux qualités de ce cycle. Ce n’est pas de la fantasy classique (la magie est à peine présente, et pour les quêtes ou les batailles, vous pouvez toujours vous brosser), mais ce sont de très belles histoires qui prennent leur temps, avec des réflexions très pertinentes.
Je mettrais juste un gros bémol sur la couverture français. Certes très jolie au premier abord, je me suis demandée pendant toute ma lecture qui était représenté dessus. La comparaison avec la VO m’a donné la réponse (et je ne vois pas qui cela pourrait être d’autre, c’est tout de même un roman centré sur ce personnage et sur les deux couvertures précédentes ce sont les héros), ce doit être Gavir.
Sauf que Gavir est noir dans l’ouvrage, et c’est comme ça qu’il apparait sur la couverture VO. J’ignore ce qui a poussé à ce changement ( une raison marketing j’imagine), mais je ne trouve pas ça particulièrement fin.
Oui les héros de Ursula Le Guin ont la peau brune, noire, rouge, et bien plus rarement blanche, mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ses romans, de ne pas avoir le bon vieux stéréotype du héros blond aux yeux bleus. Et ça n’a jamais empêché ni leur vente, ni leur succès éditorial, il me semble. En plus l'héroïne du tome 2 est aussi noire, et on ne l'a pas changé de couleur, elle...
Comme je te l'avais dit sur MSN, j'espère bien qu'un jour les mentalités changeront ... Mais j'ai l'impression que l'on a encore du chemin à parcourir si des maisons d'édition hésitent encore à mettre des héros de couleur noire en couverture ... pathétique.
RépondreSupprimerIl me semble que même Ged (de Terremer) est noir (enfin, Tenar le décrit très bronzé je crois, sombre de peau, mais ça remonte), d'ailleurs on est tellement imprégné du héros blanc qu'on a du mal à s'y faire :P
RépondreSupprimerJe me méfiais un peu de cette série à cause de l'étiquette YA, mais au vue du reste de tes critiques, bah je vais jeter un oeil ^^ C'est du Le Guin après tout !
Tout à fait, Ged n'est absolument pas le blondinet qu'ils lui ont attribué dans le téléfilm ^^. Tout Terremer est peuplé de gens "de couleur", y'a que les barbares dont fait partie Tenar qui sont blonds ! Je n'y ai même pas prêté attention à la première lecture en fait...
RépondreSupprimerMenfin si on omet cette faute de goût de l'Atalante sur la couverture, c'est une série à lire, jeunesse ou pas ^^
je vous conseille la publication américaine où en effet la couverture représente bien un héros plus proche de la description...pourquoi comment ?...
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi, un livre intelligent mais dont la fin est un peu décevante.
RépondreSupprimerEt pareil pour les couvertures, je ne comprends pas les choix des éditions Atalante.
En plus je trouve Gavir beaucoup plus séduisant dans la couverture en VO que dans celle française, et bien entendu c'est l'image que l'on s'en fait en lisant le roman.