Au mois de juin, le Cercle d’Atuan, forum de lectures communes de SFFF, fêtait ses cinq ans. Pour l’occasion, j’ai proposé de relire la toute première lecture du Cercle, Terremer (à la différence que cette fois-ci nous lisons l’ouvrage complet, pas juste Le sorcier de Terremer). Voilà donc une excellente occasion pour parler de cette œuvre de fantasy que j’ai lu et relu sans jamais prendre le temps de la chroniquer en détail.
Terremer est un univers de fantasy créé par Ursula Le Guin dans les années 60. C’est un monde insulaire où les cultures, les climats et même les croyances sont fort différents d’une île à une autre. Cependant la plupart des habitants partagent le même bagage de héros, légendes et chansons. Et bien sûr comme dans tout univers de fantasy qui se respecte, il y a de la magie, des sorciers et des dragons.
Ursula Le Guin a écrit un certain nombre de textes se déroulant dans cet univers : cinq romans et sept nouvelles. Les trois premiers romans (Le sorcier de Terremer, Les tombeaux d’Atuan et L’ultime rivage), chacun ne dépassant guère 200 pages, sont aujourd’hui réunis dans un volume unique, Terremer, dont je vais vous parler aujourd’hui.
Le sorcier de Terremer
Tout premier roman se déroulant dans l’univers de Terremer, Le sorcier de Terremer nous raconte l’histoire de Ged, un jeune garçon doté de grands pouvoirs, qui sera amené à devenir un des plus grands sorciers du monde. Mais lorsque l’histoire commence, ce n’est encore qu’un jeune enfant qui va devoir certes à pratiquer la magie, mais aussi à ne pas se laisser emporter par son orgueil.
Cette histoire peut sembler extrêmement simpliste à nos yeux d’aujourd’hui, car Le sorcier de Terremer reprend finalement la trame du roman d’apprentissage qu’on croise dans de nombreux romans de fantasy : enfant doté de pouvoirs, vieux mage plein de sagesse, école de magie, confrontation à un mal ancien… tous les ingrédients sont là (y compris les dragons !).
Cependant, il ne faut pas oublier que ce roman a été publié en 1968 (c’est un précurseur bien plus qu’un suiveur), et tant bien même son côté stéréotypé, je trouve qu’il conserve aujourd’hui une aura particulière.
C’est sans doute parce que ce roman est construit comme un conte, une épopée (avec un narrateur qui évoque parfois les réalisations ultérieures du héros), et dans ce cadre-là le côté « cliché » est parfaitement acceptable. Et puis c’est raconté par Ursula Le Guin, qui comme chacun le sait a une écriture magique, si bien que même les séquences de morale par des vieux mages sont fascinantes à lire.
Il faut savoir aussi que sous son apparence de récit initiatique classique, Le sorcier de Terremer est une première incursion dans un univers de fantasy qui mérite qu’on s’y arrête. Déjà il est peuplé exclusivement de gens de couleur (les seuls blonds aux yeux bleus sont les barbares kargues), ce qui bouscule carrément les conventions habituelles. Et surtout Ursula Le Guin trouve le temps, malgré le petit nombre de pages, d’avoir une approche presque ethnologique de son univers et de parler du mode de vie des habitants de chaque île qu’on visite.
Alors certes, aujourd’hui Le sorcier de Terremer ressemble à un concentré de fantasy (vu qu’il raconte en 200 pages ce que d’autres font en 1500), mais il conserve une aura particulière, grâce à son rythme calme, son univers travaillé, son histoire relativement dénuée de manichéisme, et son ton de conte auquel il est difficile de résister.
Les tombeaux d’Atuan
Ce deuxième roman se déroule quelques années après Le sorcier de Terremer, et nous emmène du côté de l’archipel kargue, que le premier roman avait à peine évoqué. Ged n’est point le héros dans cette histoire (bien qu’il y apparaisse). A la place on suit les pas de Tenar, jeune fille arrachée à sa famille à l’âge de six ans pour devenir La dévorée, prêtresse éternellement réincarnée des Innommables.
Alors que le précédent texte semblait assez classique dans son déroulement, Les tombeaux d’Atuan sort des sentiers battus en se penchant sur le quotidien monotone d’une prêtresse solitaire de dieux délaissés, dont la seule jouissance est d’être la seule à pouvoir parcourir les labyrinthes obscurs se trouvant sous les tombeaux de ses dieux.
Si Le sorcier de Terremer contenait une part de noirceur, il était assez facile de prendre ses distances avec elle. L’obscurité des Tombeaux d’Atuan est elle bien plus insidieuse. J’ai gardé de ma première lecture une sensation d’étouffement, et je me surprends à chaque relecture à sentir une angoisse dans ma poitrine.
Le chemin vers la lumière est d’ailleurs est long et difficile pour Tenar qui doit venir à bout d’années de conditionnement. Son personnage est d’ailleurs vraiment admirable. Cette jeune fille conditionnée depuis sa plus tendre enfance n’est pas encore tout à fait rentrée dans son rôle (ni dans l’âge adulte) si bien qu’elle passe par toute la gamme des émotions. C’est un des plus beaux personnages du cycle, je l’aime presque plus que Ged en fait (qui est pourtant Ze héros par excellence).
Du coup je ne vous surprendrais pas en déclarant qu’il s’agit de mon roman préféré de ce trio.
L’ultime rivage
Après une histoire centrée en un seul lieu, L’ultime rivage semble renouer avec Le sorcier de Terremer en nous faisant voyager une fois encore à travers toute la carte. Sauf que cette fois-ci, Ged est désormais archimage et prend le rôle du vieux sage (de quarante ans !), tandis que le poste d’adulte en devenir est occupé par un jeune homme, Arren, qui va l’accompagner dans sa quête pour élucider les raisons qui font que la magie du monde semble aller à vau-l’eau.
Si on fait le bilan de ce livre, on a donc affaire à trois romans dotés chacun d’une quête propre, toujours avec une figure de jeune homme/jeune femme en devenir (qui diffère à chaque fois), et avec la présence systématique d’un Ged, aux trois âges de la vie (enfant/adulte/vieillard). Cette structure a un côté très primitif, qui va de pair avec la structure narrative qui évoque plus les contes et les légendes d’antan que nos romans actuellement.
Mais je m’éloigne un peu du sujet. A vrai dire L’ultime rivage souffre un peu de se situer chronologiquement entre Les tombeaux d’Atuan et Tehanu (le roman suivant), qui sont tellement marquants qu’on a du mal à le remarquer au milieu.
Pourtant dans sa structure il est finalement assez similaire au Sorcier de Terremer, et il offre une belle ballade dans les contrées encore inexplorées de cet univers très maritime. Et il y a des dragons. Et on ne peut qu’apprécier une fois encore l’absence de grand méchant maléfique. On y parle certes de bien et de mal, mais surtout du rapport vie/mort.
Sans être aussi bon que les deux romans précédents, L’ultime rivage reste une lecture agréable, qui clôture tellement bien l’histoire que lire les autres textes n’est pas obligatoire (mais c’est recommandé, parce qu’Ursula Le Guin c’est très très bien).
Bon comme je suis en train d’attaquer ma troisième page Word, je vais peut-être m’arrêter là pour cette première incursion dans l’univers de Terremer (même si je pourrais certainement continuer à m’étaler). Ces trois romans peuvent sembler un peu datés par leur classicisme apparent, mais il serait dommage de passer à côté, tant la prose d’Ursula Le Guin est agréable à lire.
Pour ses 700 et quelques pages |
3 challenge en 1, ça c'est de l'optimisation !
RépondreSupprimer3 challengeS
RépondreSupprimer@asn83
RépondreSupprimer(avec le bon pseudo c'est mieux xD)
C'est surtout un sacré coup de chance ^^
Huhu, old school couvertures. ^^
RépondreSupprimerSuperbe chronique.
@Baroona
RépondreSupprimerEn fait je voulais trouver des couvertures anglaises mais je ne trouvais que du moche, du coup j'ai craqué pour une bonne vieille série de Wojtek Siudmak parce que ça me rappelle tellement de souvenirs :D
Voilà la chronique que j'aurais voulu écrire ! Tu parles de ce roman bien mieux que moi. Au passage, je n'avais pas remarqué que les habitants de Terremer avaient la peau brune, je le savais pour Ged mais je n'avais pas fait attention aux autres ! Il faudrait que je fasse plus attention aux détails une prochaine fois...
RépondreSupprimer@Nathalie
RépondreSupprimerRassure-toi je m'en suis aperçue qu'à ma 2e ou 3e relecture xD
J'ai beaucoup aimé les romans et cet univers qui mélange classicisme et exotisme ! Tu en parles effectvement très bien ! Ca me fait penser qu'il faudrait que je lise un peu plus d'auteurEs !
RépondreSupprimer@JainaXF
RépondreSupprimerAh bah oui, faudrait pas oublier un challenge en route non plus. Tu sais que Ursula Le Guin a écrit d'excellents space/planet-opera ? *sort*
C'est aussi ça que je trouve bien avec le Guin, c'est qu'elle ne va pas insister sur la couleur de peau, ça se fait naturellement :)
RépondreSupprimerEn tout cas, superbe critique, elle me donne envie de les relire. Surtout les Tombeaux (graaaaaah)
Obligée de le lire, je suis désormais.
RépondreSupprimerBeau pavé, d'un auteur que j'apprécie (OK, pas forcément en fantasy ;) ) !
RépondreSupprimer@Nariel Limbaear
RépondreSupprimerTout à fait, d'ailleurs c'est pour ça qu'on ne s'en rend pas forcément compte ^^
@Alys
Complètement raison, tu as :D
@Brize
Je ne peux que plussoyer, elle est aussi excellente en SF !
Bon, j'ai raté la LC mais ça ne m'empêchera de le lire un jour. Je m'y étais déjà frotté quand j'étais ado, mais après "le Seigneur des Anneaux", ce n'était pas ce que j'attendais donc j'avais laissé tomber...
RépondreSupprimerMaintenant je sais à quoi m'attendre, ça devrait beaucoup mieux passer.
Par contre, ça fait beaucoup de Le Guin à lire là (parce que son côté SF m'intéresse fortement), va falloir se calmer hein ! :D
Et en plus, j'ai vu "La vallée de l'éternel retour" à la bibliothèque...
@Lorhkan
RépondreSupprimerMais non on a jamais assez de Le Guin à lire (d'ailleurs j'ai bientôt lu tout ce qui est sorti en VF et ça me déprime rien qu'à l'idée d'avoir tout lu xD)