mercredi 8 mars 2017

La servante écarlate – Margaret Atwood


La servante écarlate fait partie de ces romans dont j’ai croisé le titre ici et là pendant longtemps sans jamais savoir de quoi il parlait. Récemment, je suis tombée sur la bande-annonce de son adaptation en série télé qui m’a beaucoup intrigué. J’ai donc décidé de me pencher sur le cas de ce classique qui m’avait échappé jusque-là.


Pour la petite anecdote, j’ai voulu emprunter ce roman à la bibliothèque. La première fois que je suis passée, il était emprunté (soit). La deuxième fois, il était de retour mais la bibliothèque était fermée à cause d’une manif). La semaine suivante, je n’ai pas pu passer non plus, autant dire que lorsque j’ai enfin pu l’emprunter, j’étais tellement frustrée que j’ai lâché tout ce que j’avais en cours pour lire ce roman, et c’est sans regret !

(oui j’aurais aussi pu l’acheter, mais figurez-vous que la couverture de la nouvelle édition qui vient de sortir ne me parle pas du tout, du coup j’ai préféré emprunter l’ancienne et tant pis pour la préface inédite de l’auteure)

La servante écarlate est une dystopie qui nous emmène dans des États-Unis bien sinistres qui ont basculé dans le totalitarisme à tendance théocratique. Au sein de ces régimes, les femmes ont été renvoyées dans leurs foyers, sans autre rôle que celui d’épouse ou de servante. Les naissances ayant chuté drastiquement, celles qui ont la « chance » d’être fertile sont réduites à un rôle de mère porteuse, qu’elles soient ou non d’accord.

La narratrice de cette histoire est une de ces femmes, une servante écarlate qui n’a plus le droit de porter son nom. Tandis que les jours de sa vie s’écoulent doucement dans la vie très refermée qu’elle mène (elle n’a pratiquement le droit de parler à personne et passe la majeure partie de ses journées recluse dans sa chambre), elle passe en revue ses souvenirs, ce qui permet de découvrir par petites touches comment le monde (et elle) en sont arrivés-là.

Ce mode de récit tout sauf linéaire n’est pas toujours facile à suivre (d’autant plus que la narratrice n’a pas son pareil pour sauter du coq à l’âne), mais c’est ce qui le rend captivant. Je n’avais d’ailleurs pas terminé le premier chapitre que j’étais comme prise au piège de cet univers, avec cette narratrice dont on ressent très bien l’enfermement (certes en partie physique mais aussi psychologique). Il arrive qu’on lise des romans qui nous habitent, celui-là nous emprisonne purement et simplement !

Bien sûr, cela est dû aux thématiques qu’il aborde. Le cadre est celui d’une société totalitaire rigoureusement organisée pour annihiler toute forme de pensée : les livres et les journaux ont disparu et on a remplacé les noms des magasins par les logos des produits qu’ils vendent pour brider l’imagination. Il est d’ailleurs très intéressant de voir comment on peut réduire imagination et réflexion lorsqu’on fait pratiquement disparaitre l’écrit.

Dans ce régime, les femmes ont perdu tous leurs acquis (indépendance, possibilité de travailler, droit à disposer de leur corps), mais le régime en place ménage de pseudos espaces de liberté pour mieux les contrôler au travers de certaines cérémonies ou en choisissant des femmes prêtes à appliquer les principes de ce régime à des postes à responsabilité.

La description de cet univers est en elle-même glaçante, et je comprends qu’on associe souvent ce roman à 1984 car ils s’inscrivent résolument dans la même veine. La servante écarlate se concentre cependant plus sur la question des femmes et rappelle de façon assez douloureuse qu’aucun droit n’est jamais acquis pour toujours et pour tout le monde, ce que l’actualité nous rappelle assez régulièrement.

En cela La servante écarlate est déjà un excellent roman qui soulève des questions très intéressantes tout en faisant froid dans le dos. Mais cet effet est encore plus accentué par ce personnage principal qui n’a rien d’une super-héroïne.

Les dystopies les plus récentes que j’ai lues étaient souvent des romans pour la jeunesse où l’on se retrouve toujours avec une héroïne qui va trouver la force en elle de se dresser pour renverser l’ordre existant. Il n’y a rien de cela dans la narratrice de La servante écarlate.

Cette femme est complètement enfermée dans ce système. Elle se permet de petits actes de rébellion (quelque chose d’aussi insignifiant que de voler une noisette de beurre dans son assiette pour en se crémer le visage avec) mais elle est aussi complètement terrassée par la peur. Il y a même un moment où elle se déclare prête à tout accepter pourvu qu’elle garde sa vie.

Le roman nous rappelle ainsi qu’entre le noir et le blanc, qu’entre les collabos et les résistants, il y a aussi de très nombreuses nuances de gris, de personnes qui n’adhèrent pas à un système mais ne peuvent pas non plus le rejeter, des gens qui veulent juste continuer leur petit bonhomme de vie. Des êtres humains, en bref.

C’est donc un roman très riche que cette Servante écarlate : c’est une dystopie très bien pensée et très bien racontée qui n’a pas pris une ride ; c’est aussi un texte qui nous rappelle que rien n’est jamais acquis et qui nous renvoie à notre propre humanité. Ce livre est comme une claque dans la figure, et assurément un classique à lire sans hésiter.

D’autres avis : Bifrost, Bizz & Miel, Cachou, Valunivers

14 commentaires:

  1. Mais oui, mais oui, mais oui!!! Tout pareil. Avec en plus que j'ai trouvé ça très joliment écrit et très tendre en quelque sorte. (Plus la question que je t'ai envoyée par mail et que je ne répète pas ici pour ne pas divulgâcher cet élément-là aux autres lecteurs.)
    J'espérais vaguement mettre mon billet en ligne ce soir, mais comment on fait pour chroniquer le même bouquin que toi le même jour que toi? Je vais peut-être juste mettre un lien "allez lire la chronique de Vert"... ^^

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    1. @Alys
      Bon courage pour le chroniquer, j'ai passé une bonne partie de mon samedi aprem à galérer dessus pour ma part !

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  2. Bigre, il a l'air fort ce bouquin, dont je n'avais jamais entendu parler avant.
    C'est un hasard que tu postes cette chronique aujourd'hui ? :D

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    1. @Tigger Lilly
      Figure toi que oui. Mais ça n'aurait pas pu mieux tomber en effet ^^

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  3. Très bonne chronique, bravo. J'ai acheté ce livre sur un vide-grenier, car il était classé en "Science-Fiction". Je ne savais pas du tout de quoi il s'agissait. J'ai adoré, il m'a profondément marquée. Je le recommande à tous. Certaines personnes ont du mal à le lire, car le propos est très dur. Un conseil : aller jusqu'à la fin, jusqu'à la toute dernière page de l'épilogue, c'est important ;)

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    1. @Ivy
      Effectivement ça serait dommage de se passer de la conclusion ^^

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  4. Je me suis demandée sir tu avais calculé la date de ta chronique avec ce bouquin.. mais j'ai eu la réponse entre temps. C'est vraiment d'actualité! Le hasard fait bien les choses de temps à autre!!

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  5. J'étais sure qu'elle écrivait des policiers ! Il est dans ma PAL et ta chronique m'incite à le lire rapidement du coup !

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    1. @Roz
      Excellente idée !
      Je ne sais pas trop ce qu'elle a écrit d'autres (il faudrait que je creuse la question) mais c'est pas forcément de la SF, ça c'est sûr !

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  6. C'est vrai que ce roman se joue beaucoup dans les petites choses. Elle est tellement effrayée au départ, que même un geste aussi "insignifiant" que de voler une noisette de beurre prend des proportions incroyables. C'est peut-être aussi ce qui contribue à cette atmosphère glaçant d'ailleurs, tout est risqué.

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    1. @Aude
      Oui ça joue beaucoup sur le ressenti (surtout que je me suis pas mal interrogée sur "pourquoi du beurre" avant qu'elle n'explique pourquoi)

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  7. Ce roman est excellent. J'espère que l'adaptation sera à la hauteur !

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    1. @Shaya
      J'ai revu le trailer après ma lecture, je ne suis qu'à moitié convaincue mais je demande à voir (et je pense que ça passera mieux quand je serais moins sous l'influence du bouquin ^^).

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