vendredi 31 janvier 2014

La Horde du Contrevent - Alain Damasio


« Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents »

Des fois, je me demande si on ne reconnaît pas les chefs d'œuvre au syndrome de la page blanche qui frappe systématiquement quand on essaye de les chroniquer, tant on peine à trouver des mots pour égaler notre ressenti de lecture. La Horde du Contrevent est un de ces romans. J'ai pensé que le relire en lecture commune sur le Cercle d'Atuan rendrait la chose plus facile, mais sept ans après ma première lecture, ce roman me tourneboule encore !

La Horde du Contrevent nous emmène sur une terre désolée cernée par la glace et sans cesse battue par les vents. Depuis plusieurs siècles déjà, les habitants de ce monde essayent de découvrir l'origine du vent, et pour cela, il faut atteindre l'Extrême-amont de la t(T?)erre où ils vivent. C'est l'objectif de des hordes du Contrevent, des groupes d'élite qui partent à pied de l'Extrême-aval et affrontent mille dangers pour trouver l'autre bout de la terre. La horde qui est à l'honneur dans ce roman est la 34e, et elle compte bien réussir là où les autres ont échoué.

La horde se compose de vingt-trois membres, chacun ayant un rôle bien précis : il y a Golgoth le traceur (c'est à dire le chef qui « trace » la route), Sov le scribe, Oroshi l'aéromaître experte en vents, Alme la soigneuse, Callhiroé qui faut feu de tout bois, les crocs qui tirent les traineaux de matériel et tant d'autres personnages (cueilleuse, artisan du bois, fauconnier) qu'on découvrir au fur et à mesure, de l'extérieur ou de l'intérieur.

C'est en effet la grande particularité de ce roman, qui multiple les points de vue interne à un niveau rarement atteint, puisque chacun des hordiers prend la parole à tour de rôle pour raconter leur périple. Bien sûr, certains sont plus bavards que d'autres, mais au final ce n'est rien de moins que vingt-trois points de vue qui s'entrecroisent, chacun avec un style propre.

Cela pourrait être effrayant, mais chaque point de vue est en fait identifié par un symbole en début de paragraphe qui indique qui parle. Lorsqu'on a un doute (ce qui arrive fréquemment), il suffit de jeter un œil au marque-page ou au rabat du livre (selon si vous lisez l'édition poche ou le grand format) pour identifier le personnage et son rôle dans la horde.

Cela suffit déjà à faire de La Horde du Contrevent un roman qui est tout sauf banal, mais son originalité ne s'arrête pas là.

La deuxième chose qui frappe à la lecture, c'est en effet l'univers. Dans ce monde imaginaire jamais clairement nommé, tout tourne autour du vent : la cosmogonie du monde (qui dit que la vie est issue de la décélération du ven), sa physique, ses créatures (les chrones), son habitat (soit enterré soit aérien), ses modes de vie... tout se base sur cette constante aérienne. Ce n'est pas toujours compréhensible, mais c'est complètement fascinant à découvrir.

Tout cela crée une telle sensation de dépaysement qu'il m'est arrivé de ne pas me sentir à ma place quand je levais la tête de mon livre dans le métro ! On dit souvent que les livres font voyager, j'en connais bien peu qui font autant voyager que celui-ci.

Il faut dire que la quête de la Horde est prenante au possible : on démarre le livre en plein furvent (une sorte de tempête qui rase tout sur son passage), et ce n'est que le début ! Les péripéties sont nombreuses, et pour un roman qui se présente comme une longue randonnée, il n'est jamais répétitif tant les obstacles sont diversifiés : eau, neige, vent... et même les hommes posent problème parfois.

La Horde du Contrevent, c'est donc 700 pages de folle aventure (aussi belle dans son aspect épique que dans son aspect humain), où l'on souffre avec la horde, tant l'immersion se révèle vite totale. Le point de vue interne aide grandement, certes, mais aussi l'extraordinaire écriture de l'auteur, sans laquelle ce roman ne serait rien (ou en tout cas beaucoup moins bien).

On ne peut en effet qu'admirer l'incroyable travail pour diversifier les styles d'expression en fonction des personnages (des personnalités comme Caracole ou Golgoth s'identifient immédiatement), mais aussi tout le vocabulaire déployé dans le champ lexical du vent, quand on ne tombe pas sur des sublimes morceaux d'écriture, tout simplement. La Horde du Contrevent, c'est un roman qui est aussi beau pour son contenu que pour son contenant.

Je pourrais sans doute continuer à chanter les louanges de ce roman pendant des pages et des pages, mais cela me semble inutile sur un livre qui pour moi reste une expérience de lecture unique, à la fois merveilleuse et éprouvante. La Horde du Contrevent est un petit chef d'œuvre dans lequel tout le monde devrait mettre le nez un jour, et à mon avis il n'y a pas que les fans de littérature de l'imaginaire qui y trouveraient leur compte. Bien qu'il soit classé en SF, c’est définitivement un roman qui défie toute notion d'étiquette ou de genre.

Avis des autres Atuaniens : Hilde, Kissifrott, Mariejuliet, Rose

CITRIQ

29 commentaires:

  1. SF ou fantasy, that is the question !
    Mais en fait on s'en fout : ce roman est absolument remarquable ! À mettre entre toutes les mains !

    À noter que la BO est intéressante aussi (pour ceux qui ont le grand format), mais à n'écouter qu'après la lecture puisqu'il y a certains passages lus (donc gaffe aux spoilers !). Ça prolonge le plaisir, et rappelle un tas de souvenirs de lecture. Pour une relecture, ça peut être un très bon accompagnement. ;)

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  2. @Lorhkan
    Moi j'ai même fait ma première lecture avec (donc oui ça m'a légèrement spoilé la fin, mais ça n'enlève finalement rien au livre), ça passe fantastiquement bien en effet ^^

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  3. Il faut vraiment que le lise un jour !

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  4. Un p*tain de chef d’œuvre, que dire de plus !

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  5. @Lune
    Oui c'est vrai, à quoi bon faire une chronique finalement ^^

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  6. Je ne peux que plusseoir le syndrome de la page blanche... je n'ai jamais écrit de chronique pour ce livre-ci :) (et pourtant, j'ai aimé !). La seule chose que je dis, c'est de se laisser porter par le vent pour cette lecture ;)
    As-tu un personnage préféré ou plusieurs auxquels tu aurais été attachée ?

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  7. @Acr0
    C'est une bonne question... Je pense que je suis très attachée à Sov parce que c'est le plus présent de tous les personnages (je suis sûre qu'un 1/3 voir 1/2 du bouquin est sous son point de vue). Golgoth je l'admire et en même temps il me terrifie, et j'aime bien Aoi&Alme qui est le point de vue un peu divergent (je les confonds toujours un peu les 2). Oroshi est très froide, c'est plus dur de l'apprécier.

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  8. <3

    (le syndrome de la page blanche appliqué au commentaire d'un super article sur un livre génialissime)

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  9. J'ai eu des échos assez disparatres sur ce livre, des gens comme toi qui ont adoré et d'autres qui ont, disons, beaucoup moins aimé.
    Je ne suis pas encore décidé.

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  10. Vraiment génial ce livre, un jour j'écouterais la bo !

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  11. Ce livre fut un choc pour moi et lorsque j'y pense, c'est toujours avec beaucoup d'émotion, tu as bien su rendre tout ce que j'ai pu éprouver en le lisant. Un jour je pense que je me replongerai dedans, c'est un véritable chef d'oeuvre !

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  12. Ou le temps qu'on passe dessus aussi. Pas rare que je passe 3/4h sur la chronique d'un bouquin que je vais vraiment adoré.

    Un très grand bouquin en tout cas et bravo pour la chronique ^^

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  13. Je rejoins un peu tout le monde. Un livre inclassable, poétique, magique et magnifique. Vraiment un roman à découvrir.

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  14. Alors là je suis totalement convaincu, je l'ajoute de ce pas à ma Wish :)

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  15. @Baroona
    Très bon résumé ^^

    @Fánaríë
    Roh c'est que j'ai pas bien fait mon travail !

    @Shaya
    Il faut l'écouter en effet, c'est un chouette complément (même si j'ai oublié d'en parler dans mon article).

    @Endea
    Il se prête bien à une relecture en plus celui-là, on repère plein de trucs à la 2e lecture

    @Tigger Lilly
    Quand c'est 3/4 d'h ça va... des fois j'y passe 2h à effacer/réécrire (La horde ça a été plutôt fluide en fait).

    @Val
    N'est-ce pas ^^.

    @BlackWolf
    Tout à fait.

    @A.C. de Haenne
    A vrai dire la fin me perturbe toujours un peu (comme je le disais lors de nos discussions sur le Cercle, y'a un décalage assez étrange sur les deux derniers chapitres).

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  16. Un GRAND chef d'oeuvre même. Aussi réussi dans sa construction, que dans son originalité. Comme tu l'as si bien décrit, l'univers est incroyable. Et surtout l'écriture est magnifique !
    <3

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  17. un sacré morceau en effet... Et syndrome de la page blanche pour moi aussi je pense, si je devais le conseiller à quelqu'un ça finirait surement par "alors, c'est l'histoire d'un groupe qui part découvrir l'origine d'un vent terrible et puis euuuuuh... c'est trop bien faut le lire!!". Bref, de l'avis pas constructif, mais ce roman rentre pour moi dans la catégorie : j'ai beaucoup aimé mais sans pour autant définir les points qui m'ont vraiment accrochée, tellement l'ensemble se tient, est cohérent et mêle tous les petits détails qui font la différence avec grande habileté.

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  18. @Raven
    Il est très bien ton argumentaire pour un syndrome de la page blanche ;)

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  19. Bonsoir Vert,

    Finalement, ta page blanche s'est plutôt bien remplie! :)

    La plupart du temps, je propose un résumé personnalisé mais là je n'ai pas osé, peur de dénaturer l’œuvre et de mal raconter l'histoire.
    J'ai vraiment été impressionnée par ce roman, par l'écriture, l'originalité de l'univers et tout ce qui arrive aux personnages. C'est le genre de livre dont on garde l'empreinte pendant des années, peut-être même plus.

    Merci en tout cas pour cette découverte. Je ne l'aurais sans doute pas faite si je n'étais pas arrivée à ce moment là sur le Cercle. :)

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  20. Je confirme difficile d'en parler, et d'oublier certains passages. J'ai zappé dans ma chronique le vocabulaire et les styles si particulier de certains personnages !

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  21. @Hilde
    Je suis bien contente que le Cercle t'ait permis de découvrir ce petit chef d'oeuvre (ça fait un peu secte ce que je dis mais ne t'inquiète pas :P)

    @Roz
    Et moi je voulais parler de la BO et j'ai oublié, difficile de parler de tout ce qu'on aime sur ce livre je crois !

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  22. Je dois être une des seules qui n'ai pas aimé ce livre...

    J'ai eu du mal à me retrouver au sein des nombreux personnages, l'écriture ressemblait souvent à de la poésie moderne, on a plus une succession d'épreuves qu'une histoire suivie et la fin m'a prodigieusement agacée...

    Par contre, j'ai beaucoup aimé "La zone du dehors" du même auteur, j'ai trouvé que là il y avait un propos, une histoire prenante...

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  23. @JainaXF
    On a les avis les plus contradictoires de la Terre :D

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  24. Une bonne impression général, mais des éléments extérieur qui servent peu. il aurait fallu plus détailler les motivations de la poursuite, des différent courant au sein de la capitale car au final, cela pourrait donner plus de profondeur mais ils apparaissent et disparaissent comme des cheveux sur la soupe. Par exemple le combat aérien. On se demande pourquoi, a quoi sert il, a part un beau moment. Quels sont les motivations, pourquoi un seul et puis plus rien avant ou pares...

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  25. @Gleg
    Mon côté Orangina rouge me donne envie de répondre "Parce que !" :D. Sinon plus sérieusement, je suis tombée sur une vieille interview où l'auteur avait prévu une suite, peut-être aurait-on eu plus d'explications. Pour ma part ça ne me gêne pas, c'est l'atmosphère qui fait le charme de cette lecture.

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