mardi 6 octobre 2009

La stratégie Ender (Cycle d’Ender 1) – Orson Scott Card



Encore une preuve que je lis trop vite, ça fait un mois que je parle de la stratégie D’Ender, alors que le vrai titre est la stratégie Ender. Ca ne fait pas une différence énorme, mais ça modifie l’approche qu’on en a (quoique qu’entre le cycle d’Ender et le titre anglais, Ender’s Game, pour le coup on retrouve cette notion d'appartenance… maintenant je sais pourquoi je m’embrouille !).

Ender a six ans, et c’est un génie.

Ender n’est pas son vrai prénom, il s’appelle en fait Andrew Wiggin. Il se surnomme ainsi car il est le troisième enfant dans un futur où le nombre d’enfants par famille est limité à deux, sauf dérogation exceptionnelle. Comme dans son cas.

Il existe car on a vu dans son frère, Peter, puis dans sa sœur, Valentine, des capacités qui pourraient sauver la planète, et on espère qu’Ender sera le bon, celui qui pourra repousser les Doryphores, des aliens qui ont déjà tenté à plusieurs reprises d’attaquer la Terre.

C’est pourquoi à six ans, il part pour l’Ecole de Guerre, comme bien d’autres enfants. Et c’est son parcours là-bas qu’on va suivre.

Ca faisait très longtemps que je n’avais pas lu du Orson Scott Card, et jamais je n’avais lu ses œuvres de SF. Je connaissais Enchantement (un roman assez inattendu autour de la Belle au Bois Dormant) et les Chroniques d’Alvin le Faiseur (que j’ai abandonné à mi-parcours par lassitude), mais le cycle d’Ender, jamais ouvert, jusqu’à qu’il tombe en lecture du mois au Cercle d’Atuan.

Et ça s’est révélé une surprise de taille. L’histoire m’a happé d’une force que j’ai eu un mal fou à ne pas finir le livre d’une traite après avoir lu le début (je me suis pas gênée pour la suite par contre). C’est vraiment très prenant, et c'est très dur de faire durer pareil ouvrage un mois.

Déjà on a le schéma classique du roman d’apprentissage, qui fonctionne à merveille comme toujours : prenez un bout de chou et regardez le grandir, je ne sais pas pourquoi, mais ça marche à tous les coups (qui a dit Harry Potter ?). Ici ça ne fait pas exception. Pas de vieux magicien sage pour guider ses pas mais il n’empêche qu'on se prend au jeu.

Ensuite les chapitres sont habilement construits : d’abord un passage de « voix-off » en italique (qu'on identifiera par la suite), qui commentent le chapitre précédent, donnent des infos sur celui qui commence, ainsi que quelques pistes plus générales, puis vient le chapitre en lui-même, généralement du point de vue d’Ender. J’adore ce procédé et ici il fonctionne parfaitement, créant au passage un petit suspens pas désagréable du tout.

(Je vous soumets une question à la portée philosophique incroyable qui m’est venue en écrivant : un autre cycle coutumier du procédé est l’Assassin Royal, avec ses extraits de contes, de récits historiques, etc. en tête de chapitre. La série serait-elle aussi intéressante sans ces intros de chapitre ? )

Les chapitres en eux-mêmes sont assez indépendants. Ils se suivent, mais ça me rappelle un peu The Graveyard Book pour la structure : un sujet par un chapitre (un peu comme des leçons ou des paliers), même si le fil directeur reste très présent. On découvre peu à peu les étranges méthodes de formation de l’Ecole de Guerre : jeux vidéo, répartition en armées, batailles entre les dites armées…

Le fil directeur, parlons-en d’ailleurs. Vous serait-il venu à l’idée d’engager des enfants, aussi précoces et intelligents soient-ils, dans l’armée dès l’âge de six ans, pour les faire jouer à la guerre dans une étrange salle de bataille, et devenir dans l’absolu de parfaits soldats ? Dans quelle mesure on peut justifier une chose pareille ?

Voilà l’interrogation qui sous-tend la quasi-totalité du bouquin, et cela instaure dès les premières pages un malaise particulièrement perceptible. Jusqu’à quel point la fin justifie les moyens, même pour le bien de tous ? C’est une vaste question, que l’auteur développe avec brio au cours des pages.

L’autre grand point fort de ce roman, c’est le personnage d’Ender, et son parcours. Même si le principe du « gamin de six ans qui sait résoudre des équations du second degré » peut sembler un peu surréaliste, il est extrêmement bien rendu. Ender est certes un génie tactique, et la façon dont il traverse toutes les embûches de l’école de guerre le prouvent. Il y a un coté presque jouissif à le voir se déjouer des problèmes comme ça, d’un claquement de doigts.

Mais émotionnellement il reste très fragile… ses réactions rappellent souvent qu’il n’est qu’un enfant, pas forcément apte à porter le poids du monde sur ses épaules (qui pourrait le faire de toute façon ?). Le personnage est très attachant, mais fait aussi froid dans le dos dans certains passages.

C’est donc un sacré bout d’homme qu’on a plaisir à suivre au gré des pages, de ses rencontres et de ses exploits, de ses joies et de ses colères. Cela justifie donc parfaitement de dévorer l’ouvrage… et d’aller chercher immédiatement la suite à la bibliothèque.

En plus, pour un bouquin qui a plus de 20 ans, son ambiance n'a pas vraiment vieilli, sinon pour quelques mots de vocabulaire (le bureau qui est un ordinateur portable) et une ambiance géo-politique très Guerre Froide. J'ai lu sur Wikipedia que le livre avait été retouché en 91, mais j'ai idée que la traduction française n'en a pas bénéficié.

L’année n’est pas finie mais je pense qu’il aura définitivement une place dans mon top 3, celui-là. J'ai déjà fini la suite, vous devriez vite avoir des nouvelles d'Ender...

Avis des autres atuaniens : Arutha, Daenerys, El Jc, Iani, Kactusss, Olya, Spocky, Zahlya

12 commentaires:

popoyo a dit…

"Je vous soumets une question à la portée philosophique incroyable qui m’est venue en écrivant : un autre cycle coutumier du procédé est l’Assassin Royal, avec ses extraits de contes, de récits historiques, etc. en tête de chapitre. La série serait-elle aussi intéressante sans ces intros de chapitre ?" Commentez ce sujet, vous avez trois heures. :-p

Je ne vais pas faire une dissert, mais il est clair que, ces petites mises en bouche de chapitre, écrit souvent par un autre narrateur, et apportant des détails dont on ne saisit pas forcément la valeur dans un premier temps sont un ajout majeur dans l'oeuvre. Ils permettent de casser le rythme de la narration en apportant des récits d'un temps différent, et apporte aussi un autre point de vue à ce qui se passe. De plus, cela donne une saveur plus forte aux relectures ce qui est toujours appréciable. Cela apporte bien pour moi un intérêt supplémentaire à l'histoire.

Encore merci pour tes critiques littéraires qui donnent toujours envie de lire les œuvres décrites
;-)

Acr0 a dit…

Ah quand même ! Une place dans le top 3, cela ne rigole pas :)
Je suppose, au vu du thème abordé, que cela fait drôlement réfléchir sur notre propre situation (et position?) au vu des enfants, de ce que l'on leur fait faire (notamment certains à la guerre).

En tout cas, voilà une découverte par le Cercle qui t'a enchantée :D (même si tu connaissais l'auteur avant)

Albus a dit…

Tien ! puisque la réflexion philosophique vous interesse : ne peut-on pas considérer la plupart des ouvrages de psychanalyse (genre édités chez Dunod) et aussi la plupart des écrits de DESS ou Master 2 Pro de psychologie clinique des étudiants comme des fanfictions de grand-père Freud (qui s'était + ou - lui-même comparé à Moïse dans son livre Moïse ou le monothéisme) ? De même les 4 évangiles officiels et les non officiels (documents de la mer morte esseniens ou de Nag Hammadi : évangile de St Thomas, de Ste Marie madeleine et de St Valentin) ne sont-ils pas des sortes de romans ou cycles d'héroïc fantasy ou fanfictions aussi... sur Jésus (lui-même qu'une refonte du Socrate de Platon, avec un zest d'Epicure) ?
Je pense que oui.

Quant au petits fragments en tête des chapitres (cf. popoyo) F. Herbert dans Dune en use et abuse ainsi que A. E. Van Vogt dans le cycle du non-A.

A + N'hésitez pas à me donner votre avis.

Vert a dit…

@Acro

Bah en fait j'ai pas eu beaucoup de coups de coeur cette année (beaucoup de relectures et de classiques... sympas mais c'est des "classiques" du coup voilà... j'en ai 2 sur trois, ça me laisse la fin de l'année pour trouver le dernier ^^
Pour ce qui est des thèmes, le problème c'est que c'est quasi impossible de parler de toutes les réflexions du bouquin sans vendre la fin et comme j'aime pas donner dans le spoiler... y'a déjà toute cette question autour de l'enfant-soldat oui, mais d'autres choses aussi...

@ Albus

Tout dépend de la définition de fanfiction qu’on considère. Si on raisonne juste en ce qui concerne l’écrit (un écrit qui utilise les personnages et univers d’une autre oeuvre), on pourrait tout mettre dans le sac des fanfictions, et ça rend l’étude complètement improbable.

Autant étudier l’histoire de l’humanité d’un bloc. Après tout les Vierges à l’enfant, c’est rien d’autre qu’une représentation de la maternité adapté à l’univers chrétien, mais on a des représentations de ce type à toutes les époques, et on remonte facilement jusqu’aux Venus des grottes.

On peut effectivement trouver des exemples anciens (de plus d’un siècle) de fanfictions, où les gens écrivent eux-même la suite d’un roman lambda qu’ils ont aimé, et on peut aussi considérer toute la frénésie autour du mythe arthurien.

En même temps la notion de « fan » dans son sens actuel est très récente, et la fanfiction telle qu’on la connait, a à peine 50 ans d’existence et est étroitement liée aux médias de masse.

Considérer les fanfictions sans les réseaux sociaux autour, sans son aspect « amateur » ou sans ses liens avec les NTIC me semble un peu superficiel comme approche, parce que la communauté est au cœur des fanfictions. Ceci dit je n’ai jamais été une grande littéraire dans l’âme(même mon approche de l’Art a toujours plus été géo-politique ou sociologique ou anthropologique qu’autre chose).

Dans ce cadre si on considère les fanfictions comme des récits d’œuvre dérivés créés au sein de communautés de « fans », et avec tout le rôle que joue Internet dans leur développement, ça élimine les ouvrages de psychanalyse et les évangiles apocryphes d’office ^^.

(la suite dans le commentaire suivant, vu que j’ai explosé la limite de blogspot)

Vert a dit…

Ceci dit pour le plaisir de jouer avec la question de si ça pourrait être des fanfictions…

La fanfiction est une fiction, comme son nom l’indique, alors qualifier des ouvrages de science ou de recherche de fictions me semble un peu gonflé ^^. Après pour ce qui est des liens évidents qui doivent exister entre les ouvrages actuels et un père fondateur comme Freud, j’ai envie de dire que c’est normal.

Dans le cas des écrits de master, si la méthodologie est la même que pour les mémoires de socio ou autre, on demande plus un travail de recherche doc et de synthèse que de recherche intellectuelle à proprement parlé. Ensuite ça me parait tout à fait logique que la recherche s’appuie sur ce qui s’est déjà fait et les bases dans le domaine.

Toute l’histoire de l’humanité repose sur ce principe, tout simplement. Je ne vais pas reprendre l’exemple de tout à l’heure mais il y a toujours des liens entre les écrits, les peintures, les sculptures, la recherche scientifique, etc. J’ai bouffé de l’histoire de l’art pendant trois ans, et on n’a jamais croisé une œuvre d’art dont on ne sait pas d’où elle vient (même pas le carré noir sur fond blanc de Malévitch). Tout est lié, c’est un mécanisme normal j’ai envie de dire.

(on va ptêtre pas partir dans des dérives philosophiques sur la culture, la mémoire ou je ne sais quoi d’autre, j’ai rangé mes notes de philo sur le sujet depuis longtemps)

Bref si on considère que les moindres inspirations, reprises et pastiches sont des fanfictions, tout est fanfiction. Et j’avoue que je ne vois pas l’intérêt de ce schéma de penser, à part pour légitimer cette pratique littéraire. En même temps en a-t-on besoin ?

Déjà peut-on vraiment mettre sur le même plan un Jacques de Voragine (pour faire dans la religion tiens) qui compile et synthétise des tonnes d’écrits chrétiens pour en tirer sa légende dorée (qui est plus ou moins un guide iconographique qui va servir à tous les artistes pendant très longtemps) et quelqu’un qui écrit un hypothétique 8e tome d’Harry Potter ou une histoire d’amour torride entre Drago et Hermione ?

(la comparaison est volontairement caricaturale)

J’adore lire des fanfictions, et étudier le phénomène, mais je ne crois pas qu’on ait besoin de lui donner une telle légitimité. Déjà 90% des fanfictions écrites sont à jeter à la poubelle rien qu’en les lisant (non sincèrement j’ai pas vérifier mais je pense pas me tromper), et celles qui restent, oui il y a de belles réalisations (certaines sont même devenues des livres) mais bon…

Et pour la question sur les évangiles. C’est une conception intéressante. Evidemment qu’on peut lire la Bible comme une grande fresque historique d’heroic-fantasy (après tout il y a tout ce qu’il faut de batailles, d’histoires d’amour, de magie de trahisons et j’en passe), mais bon on s’éloigne vraiment de la question de savoir si où non on a là une fanfiction.

Je veux dire au sens strict du terme, les évangiles retranscrivent la parole de Jésus (on est en droit de croire ce qu’on veut mais c’est un personnage historique, qu’il soit fils de Dieu ou juste un type qui a forcé sur le vin), donc si retranscrire la parole d’un individu et raconter sa vie, ça n’est pas vraiment de la fanfiction ça. Sinon j’en lis tous les jours dans les pages du Monde.

On est loin quand même très loin du concept de base « je reprend les personnages et l’univers d’une œuvre et j’écris ma petite histoire parce que j’en veux plus ».

Le statut des évangiles est assez particulier puisqu’ils n’ont sûrement pas été écrits par les vrais apôtres, et on a choisi de garder ceux qui arrangeaient bien les pouvoirs politiques et religieux quand ceux-ci ont décidé d’unifier un peu tout ça. Mais l’idée de base repose quand même sur une chronique historique, une pensée religieuse, etc.

Bref histoire de pas devoir poster un 3e commentaire, pour faire simple je pense que non ^^.

J'aime pas ranger les choses dans des petites cases mais les trop grandes boites à fouillis c'est pas top non plus.

Albus a dit…

Ok. J'ai pris note de votre avis. Ca sonne comme une claque... "et pourtant elle tourne" a dit Galilé. Ce que je veux dire, c'est qu'envisager ne serait-ce que 5 s ces écrits selon le modèle des fanfictions (ok malgré l'absence d'internet sous JC, ça va de soi, mais les échanges épistolaires via St Paul et les autres c'est idem, non ?) ça a un côté étonnant (burlesque peut-être). En tout cas, cela m'a fait réfléchir.
En tout état de cause, merci pour la réponse. Je soumettrai à vos foudres, d'autres idées étranges (quand les étudiants de Poudlard m'en laisseront le temps).
Humoristiquement et scientifiquement votre.

Vert a dit…

Oui je suis violente dans mes argumentations :P.

Pour les textes religieux j'avoue que ma connaissance se limite à la version "Chocolat Suchard" trouvé dans le grenier et au contexte de rédaction, je manque de matériel pour juger sur le contenu...

Mais bon si y'a un exemple qui se prêterait plus comme exemple de "fanfiction avant l'heure" pour tout le coté réécriture, c'est plutôt toute la matière de Bretagne. Là oui ça sonne parfois comme des fanfictions, avec ces réinterprétations/réécritures sans fin sur les mêmes mythes et légendes... (et ça continue aujourd'hui).
Par contre il manque toujours le coté échange, quoique autour des préraphaëlites ça peut ptêtre être justifiable ^^

Endea a dit…

Un très beau billet ^^
J'ai été happée par ce tome 1 (c'était la première fois que je lisais Orson Card) et touchée aussi, ce que subit Ender dans le seul but d'en faire un parfait stratège est très difficile à supporter aussi pour les lecteurs.
Mais un livre dont on ne décolle plus une fois dedans.

Vert a dit…

Je suis bien contente qu'il t'ai plu ^^. La suite est sympa également, le tome 2 en tout cas.

aude.lagardet a dit…

Ah oui, il semble que tu as beaucoup aimé. Raison plus pour le lire très bientôt !

aude.lagardet a dit…

Par contre dans ton billet tu disais avoir lu la suite, mais je ne retrouve pas l'article correspondant. Tu avais laissé tombé au final ?

Vert a dit…

@Aude
Oui il faut le lire ^^
Les chroniques des suites sont là :
La voix des morts : http://nevertwhere.blogspot.fr/2009/10/la-voix-des-morts-cycle-dender-2-orson.html
Xenocide : http://nevertwhere.blogspot.fr/2010/03/xenocide-cycle-dender-3-orson-scott.html
(et après j'ai arrêté parce que j'ai pas aimé la fin de Xenocide)