samedi 20 avril 2013

La providence du reclus - Timothée Rey


Une fois n’est pas coutume, c’est à un collègue blogueur que je dois le plaisir de cette découverte. Si Cédric n’en avait pas parlé, je serais sans doute passée complètement à côté de ce petit recueil numérique de Timothée Rey.

Comme si l’auteur n’était déjà pas pour moi un excellent argument de vente (ayant adoré ses recueils Des nouvelles du Tibbar et Dans la forêt des astres), La providence du reclus se présente comme un recueil de nouvelles horrifico-savoyardes (abondance et monchus inclus). Bien que vivant en région parisienne, je suis une grande nostalgique de cette région où j’ai passé mon enfance, donc forcément, dès qu’un texte a un petit parfum du pays… surtout que pour 2,49 euros, on n’est pas volé sur la marchandise !

La première nouvelle, La providence du reclus, est le seul texte non inédit de l’ouvrage, ayant déjà été publié dans une anthologie sur Lovecraft. Elle nous fait suivre les pas du narrateur, qui enquête sur une visite méconnue de l’écrivain à Annecy, quelques temps avant sa mort. Le ton est résolument fantastique, mais surtout très décalé :
« Lovecraft, lui, demande à ne manger que du fromage ; il en est visiblement très friand. Dès ce premier dîner, il dévore deux reblochons et la moitié d’une tomme crayeuse, sans pain […]. »
J’en ai bien ri à la lecture, et je me dis qu’il y a un sérieux potentiel pour une anthologie « Auteur de SFFF et gastronomie ». Imaginez un peu : Howard mangeant une crêpe suzette en Bretagne ! Tolkien dégustant une ratatouille en Provence ! Surtout lui qui détestait la cuisine française il me semble...

Bref, j’ignore si c’est l’intention de l’auteur (étant familière de ses textes, j’aurais tendance à penser que oui), mais tout cherchant à donner une atmosphère horrifique et en pastichant l’ambiance des textes de Lovecraft (enfin j’en ai jamais lu, mais ça colle bien avec les connaissances que j’en ai), l’auteur nous livre un texte plus drôle qu’effrayant, sans doute accentué par le côté « visite touristique d’Annecy ». Un vrai délice donc !

Le texte suivant, Naseaux fumants, est une petite histoire d’horreur bien plus conventionnelle, là-haut sur la montagne, que je n’aurais pas forcément aimé lire à l’âge du jeune héros d’ailleurs !
« Derrière l’Anselme, guère rassurés par le silence mat dont est saturé le sous-bois, même s’ils ne l’avoueraient pour rien au monde, viennent la veuve Blanc-Garin et sa fille Lucette, et puis la mère, le père, tenant la seconde lampe à pétrole, et lui, Fernand, Fernand Angelloz Nicoud, onze ans […]. »
En lui-même le texte est assez classique, mais il a une bonne atmosphère savoyarde (je ne sais pas si ça se sent dans la citation, mais rien que les noms ça évoque immédiatement le pays pour moi !), une petite touche de régionalisme qui donne sa saveur à l’histoire.

Le dernier texte, Trente-six, dix-neuf, est une nouvelle assez longue qui s’insère dans une veine similaire. Un ethnologue enquête, en compagnie de sa petite amie, sur les mystérieuses coutumes d’un village reculé de Savoie.
« On dirait des voix – une petite chanson.

Il s’immobilise aussitôt qu’il le remarque, et trouve dérangeant de l’avoir formulé ainsi en son for intérieur, « une petite chanson », parce qu’il a entendu une expression assez semblable voilà peu, dans un contexte qui n’incitait pas vraiment à la sérénité. »
Un peu comme tout bon film d’horreur, l’histoire est assez prévisible, mais c’est une forme de prévisibilité qu’on savoure (vous savez celle où on dit au héros « non ne fais pas ça », qu’il le fait forcément et qu’on a hâte de voir ce qu’il va lui arriver d’atroce du coup).

Particulièrement bien mené, prenant, avec une très belle atmosphère savoyarde (truffée de petites vieux qui parlent patois, et même d’un peu de tome des bauges qui ne prend qu’un « m » !), cette nouvelle contient également quelques beaux passages simplement hallucinants (dans tous les sens du terme).

L’ensemble forme donc un petit recueil bien agréable à lire, dans une veine fantastique somme toute assez rigolote avec une bonne ambiance montagnarde dans les dialogues et les noms de lieux. Que vous aimiez ou non le style de Timothée Rey, ce recueil se déguste comme une petite gourmandise (surtout que le prix est inférieur à celui d’une tarte aux fraises à Paris), ou, mieux encore, comme un bon bout de fromage !


8 commentaires:

Lorhkan a dit…

J'ai adoré "Des nouvelles du Tibbar", donc je vais m'intéresser à ce recueil, vu le prix on ne risque pas grand chose !

Vert a dit…

D'autant plus si tu as aimé le Tibbar, tu devrais également apprécier ce recueil ^^

Unknown a dit…

"j’ignore si c’est l’intention de l’auteur (étant familière de ses textes, j’aurais tendance à penser que oui)"

Gagné ^^.

Merci au passage pour cette jolie chro ! (C'est vrai que, moi aussi, je me languis de la Hiaute, de ses vaches, montagnes, forêts, diots et matafan - je vis à Mayotte, maintenant, c'est moins alpestre).

Timothée Rey

Vert a dit…

Mais y'a sûrement plus de soleil ^^

Unknown a dit…

Ben, oui et non.

Fait beaucoup plus chaud, ça c'est sûr. Et, durant la saison sèche (avril à novembre), le ciel est rarement couvert.

En revanche, le soleil, justement, se couche tous les soirs de l'année autour de 18 h (parfois un peu plus tard, parfois un peu plus tôt, ça se joue à 1/2 heure dans l'un ou l'autre sens). Ce qui donne des journées assez courtes, finalement.

Comme je crains le soleil (c'est malin du coup d'habiter sous les tropiques, je sais), je vis surtout la nuit.
Après, il y a la Croix du Sud, le Centaure (juste à côté), les Nuages de Magellan et la partie la plus impressionnante de la Voie Lactée, le Scorpion en son entier (on n'en voit qu'un petit bout dans l'hémisphère nord), tout ça... un firmament somptueux, quoi. D'autant que là où je réside, le sud de l'île, la pollution lumineuse est quasi inexistante, du fait du très faible nombre de réverbères dans les villages.

(Et je ne parle pas de la lune, dont le croissant n'est pas "debout" mais "couché", dgenre une
barque, c'est très SF, on se croirait dans un bouquin de Vance).

C'est vrai sinon que sortir entre 9 et 15 h (et notamment de début novembre à fin mars) donne une assez bonne idée de ce que doit ressentir un p'tit boulon quand un marteau-pilon s'acharne sur lui ;-)

Vert a dit…

Faut pas me parler des étoiles, je suis jalouse maintenant ! (ça a été ma grande joie en passant de Paris à la proche banlieue, on récupère quelques étoiles dans le ciel xD)

Alys a dit…

Je l'ai lu! J'ai adoré! Merci! :)

Vert a dit…

@Alys
Chic alors :D