lundi 31 mars 2014

L'abîme arc-en-ciel - Barbara Hambly


J'aime beaucoup fréquenter à Paris le magasin Boulinier, parce que c'est l'endroit idéal pour trouver des livres complètement improbables. Comme celui-ci, qui est doté d'une couverture... euh... sans commentaire dirons-nous, mais qui est écrit par une auteure dont j'ai toujours apprécié les textes.

Barbara Hambly est en effet l'auteur de l'excellent Fendragon (un de mes romans de fantasy favori avec un tueur de dragons à lunettes et une sorcière qui préfère mener une vie de famille que de jeter des boules de feu) ou du Sang d'immortalité (une très bonne histoire de vampires au XIXe siècle), pour ne citer que ceux que j'ai déjà eu l'occasion de chroniquer sur ce blog.

L’abîme arc-en-ciel met en scène deux magiciens, Rhion et son maitre Jaldis, qui vivent dans un univers tout ce qu'il y a de plus fantasy avec ses créatures magiques, ses rois, princes et autres ducs, et son lot de dieux et religions divers et variés.

Les magiciens ne sont pas très bien perçus dans ce monde, et si l'on fait régulièrement appel à eux pour des porte-bonheurs, remèdes et autres filtres d'amour, on les expulse ou on les lynche aussi fréquemment dès que le résultat ne plaît pas. Inutile de dire que Rhion et Jaldis mènent une vie assez misérable, vivant dans la discrétion et changeant souvent leur domicile pour éviter la mort.

Cela n'empêche pas Jaldis de mener des recherches sur la nature de l'univers, qui l'amène à entendre l'appel de magiciens d'un autre monde, où la magie aurait été complètement annihilée. Et depuis qu'il a entendu ce message, il n'a qu'une idée en-tête : franchir le néant qui sépare les mondes pour aller les aider, ou au moins comprendre ce qu'il s'est passé.

Il y a bien longtemps que je n'avais pas ouvert un roman de bonne vieille fantasy bien classique de derrière les fagots, et je pensais que j'aurais du mal à rentrer dedans, mais j'avais oublié à quel point j'aimais les univers imaginés par Barbara Hambly, qui ont une patine bien particulière.

En effet, même si on est dans la pure fantasy, ce sont des univers qui ne ressemblent pas à des encyclopédies ambulantes : pas de cartes, les informations sont distillées au compte-goutte au fur et à mesure de l'intrigue, et le monde en lui-même a un côté désuet, ancien, comme si elle s'était contentée de le dépoussiérer juste assez pour le mettre en avant, au lieu de le créer de toutes pièces.

Et puis j'aime beaucoup sa façon d'imaginer la magie : elle est mystérieuse, synonyme de solitude, et très souvent en marge de la société. Cela se retrouve dans la plupart de ses textes (L'invité malvenu brassait les mêmes idées), et cela rajoute une ambiance assez particulière à l'histoire, qui avance à un rythme assez calme en général, et où les démonstrations de magie sont rarement clinquantes.

On se laisse donc porter avec plaisir par l'intrigue de cet Abîme arc-en-ciel, sauf que... je commençais légèrement à soupçonner quelque chose en réalisant qu'à 100 pages de la fin nos deux magiciens n'étaient toujours pas partis à travers le néant, et cela n'a pas raté avec une conclusion au léger goût de cliffhanger qui nous laisse pratiquement quand l'histoire semble commencer.

Hélas oui, L'abîme arc-en-ciel est en fait un diptyque, dont le deuxième tome n'a jamais été traduit en français. La bonne nouvelle, c'est que comme la plupart des œuvres de l'auteur (même les plus anciennes), il existe en version ebook. Il ne me reste donc plus qu'à trouver le courage de passer à la VO pour avoir le fin mot de cette histoire !

CITRIQ

vendredi 28 mars 2014

Au nord du monde - Marcel Théroux


Ah non, voilà déjà le printemps, les fleurs, le soleil... il est hors de question de rester à supporter ça ! A la place, enfilons doudoune et bottes de neige et direction le Grand Nord de la Sibérie pour un petit roman post-apocalyptique qui fait bien froid au cœur : Au nord du monde de Marcel Theroux, qui est accessoirement la lecture de mars du Cercle d'Atuan.

Makepeace est le shérif d'une petite ville de Sibérie colonisée par des américains en quête d'une vie simple et paisible. Est-ce le changement climatique, la misère ou la guerre qui a fini par tuer ou faire fuir tous les habitants, mais Makepeace vit désormais une existence solitaire. Jusqu'au jour où son existence se révèle moins solitaire que prévu.

Le titre anglais d'Au nord du monde est Far North, qui évoque immédiatement le Far West, et c'est à cet univers qu'on pense dans les premières pages, en suivant cette silhouette solitaire qui fait sa ronde à cheval à travers la ville, pistolets à la ceinture. Les grands espaces, les colonies fondés par des communautés ultra-religieuses, la solitude, la survie, la loi du plus fort... on a même l'équivalent des indiens sous la forme des peuplades sibériennes plus ou moins nomades qui vivent de l'élevage des rennes.

C'est donc une très jolie retranscription dans un univers tout aussi hostile et désolé qu'est cette Sibérie du futur qui a été colonisée puis abandonnée. On ne saura jamais pourquoi d'ailleurs, l'auteur reste très vague à ce sujet. En fait, il n'y que quelques fragments de technologie clairement plus avancée que la nôtre qui indique que l'histoire se déroule dans le futur.

Mais alors de quoi parle ce livre ? C'est le parcours d'un personnage solitaire, qui est clairement plus dans la survie que dans la vie, et qui renoue soudainement avec les autres humains par le hasard d'une rencontre. Ne supportant plus la solitude, voilà donc que Makepeace prend la route pour retrouver des traces de civilisation.

Mais le chemin n'est pas facile, car comme souvent l'homme est un loup pour l'homme, surtout quand la civilisation s'effondre : dictature, manipulation des foules, esclavage, tout est bon pour assurer sa survie (et son confort).

Tout cela, Makepeace le voit (et le vit) au travers de son voyage, au cours duquel on découvre peu à peu son passé par petites touches. Au nord du monde est un roman qui est porté par son narrateur, dont la réserve et les réflexions donnent un ton particulier qui contribue grandement à l'atmosphère de l'histoire.

Ces derniers temps, je me suis un peu lassée du post-apo, que je trouvais souvent très pessimiste et ressassant les mêmes idées. Et pourtant j'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman. Cela tient sans doute à son atmosphère (on ne croise pas souvent des romans qui se déroulent en Sibérie) et à son narrateur à la voix bien particulière qui force l'admiration.

Mais ce qui a joué pour moi, c'est qu'en dépit de la noirceur du monde qu'il décrit, Au nord du monde contient quelques bouffées d'optimisme, des moments qui rappellent que l'être humain n'est pas que capable des pires horreurs. Elles peuvent sembler infimes au regard du reste du roman, mais elles sont là, et c'est ce qui compte.

Avis des autres atuaniens : BaroonaCornwall, Jae_Lou, Lorhkan, Lune, Nathalie, Rose

CITRIQ

mardi 25 mars 2014

Les hommes dénaturés - Nancy Kress


Après L'une rêve, l'autre pas, j'ai voulu continuer à découvrir les textes de Nancy Kress. Je me suis un peu égarée dans son premier roman (de fantasy) avant de revenir à un texte de SF plus classique : Les hommes dénaturés.

Dans les années 2030, les enfants sont devenus des biens précieux, la stérilité frappant une bonne partie de la planète. Du coup on assiste à un vieillissement de la population, et certains couples sont prêts à tout pour obtenir un enfant, ou un substitut équivalent, qu'il s'agisse d'un animal domestique qu'on balade en poussette ou... autre chose.

Shana Walders, pendant son année de service national, aperçoit une de ces choses et se retrouve suite à son témoignage dépouillée de toute chance de poursuivre sa carrière dans l'armée. Elle décide donc d'enquêter sur ce phénomène, et sa route va très vite croiser celle d'un vieux médecin malade qui s'intéresse aux causes de la stérilité, et celle d'un danseur de ballet qui se retrouver bien malgré lui au cœur de ce complot.

Alternant les points de vue, avec son intrigue qui avance à un rythme fou, et ses complots et manigances de partout, Les hommes dénaturés s'apparente à un thriller, si bien que les pages défilent sans qu'on s'en rende compte.

C'est un texte qui se lit avec plaisir, d'autant plus que les personnages principaux sont plutôt atypiques, du genre qui deviennent attachants justement parce qu'ils ne sont pas pensés pour être immédiatement attachants : Shana est exaspérante, Nick très morbide et on secouerait bien Cameron par moment. Mais du coup ça les rend très crédibles, ils sont tous très humains quoi !

J'ai beaucoup aimé l'anticipation proche qu'imagine Nancy Kress. Mis à part pour l'aspect technologique désuet (pas de portable, Internet consultable depuis des terminaux publics), facilement explicable par la date de publication VO du roman (1998), le reste est plutôt pertinent et toujours criant d'actualité (notamment pour la question des perturbateurs endocriniens et autres produits qu'on absorbe de partout et dont on ignore encore les effets à long terme).

La société vieillissante des années 2030, où l'on trouve plus de personnes âgées que de jeunes est bien rendue avec tout que cela peut impliquer comme transformations. Par contre que je regrette un peu que pour un roman portant sur la question de la stérilité, les questions de maternité/paternité passent restent finalement au second plan (on a uniquement un aperçu par la belle-fille de Nick) et se révèlent avant tout un prétexte pour parler de recherche scientifique et d'éthique.

J'imagine qu'en à peine 300 pages, il n'était pas possible de parler de tout, mais du coup même s'il se révèle très plaisant à lire, je trouve qu'il manque un petit quelque chose à ce roman pour rester dans les mémoires. Cela ne m'empêchera pas ceci dit de continuer à m'intéresser à cette auteure, qui charme toujours avec sa voix pleine d'originalité et de pertinence.

CITRIQ


samedi 22 mars 2014

Les soldats de la mer - Yves et Ada Rémy


Après ce beau voyage à travers le temps et le monde islamique qu’était Le prophète et le vizir, je me suis intéressée aux Soldats de la mer, texte publié à l’origine en 1968 et qui n’a pas pris une ride depuis.

Dans le monde des littératures de l’imaginaire, on aime beaucoup les cases et les étiquettes : space-opera et dystopie, heroic ou urban fantasy, bit-lit, steampunk et j’en passe des meilleurs. Et puis il y a des ouvrages qui semblent faire tout leur possible pour ne rentrer dans aucune case, comme Les soldats de la mer.

Les soldats de la mer n’est pas vraiment un roman déjà, mais plutôt un recueil de textes dont le point commun est de se dérouler tous dans le même univers, celui de la Fédération. On y suit donc le destin de cette union de nations qui ne vit que de conquêtes et de victoires militaires, devenant toujours plus grande au cours des années.

Mais si les petits passages en italique avant chaque nouveau texte nous racontent l’histoire avec un grand H de la Fédération, les textes en eux-mêmes sont des histoires plus intimistes qui s’intéressent aux aventures d’un personnage, à un moment donné : un tel sera connu pour ses hauts faits d’arme, un autre sera confronté à des créatures surnaturelles, etc.

On est donc bien loin des standards de la fantasy : pas d’elfes, pas de grande destinée, juste une sorte de chronique historico-militaire d’un pays imaginé de toutes pièces, mâtinée d’une couche de surnaturelle qui confère un côté très onirique au texte. Et ça marche à merveille.

On se retrouve très vite happé dans ces petites histoires qui dessinent petit à petit le portrait de cet univers, qui semble aussi familier que mystérieux. On se laisse porter par la narration, qui adopte des formats très variés (récit dans le récit, journal intime, histoire racontée par le biais d’un dialogue). Et surtout, on se laisse emporter par l’écriture, qui doit définitivement avoir quelque chose de magique pour captiver à ce point.

C’est donc une lecture merveilleuse, et cette courte chronique ne rend pas vraiment justice à ce très joli et très étrange ouvrage qu’est Les soldats de la mer. A défaut de mieux, je vous conseille de découvrir par vous-même et de faire votre propre avis (qui je l'espère sera aussi enthousiaste que le mien).

CITRIQ

mercredi 19 mars 2014

Sandman intégrale 3 - Neil Gaiman


Je continue ma redécouverte de Sandman avec cette troisième intégrale publiée par Urban Comics. Si globalement, c’est toujours un plaisir de se replonger dans la série, j’ai trouvé ce volume un peu en dessous.

Je blâme complètement le découpage, qui suit l’ordre de publication originel et non celui des anciennes éditions. Cela me perturbe un peu de perdre l’ensemble si particulier qu’était Fables et réflexions, un volume uniquement composé d’histoires courtes. A la place, les différentes histoires courtes sont dispatchées au gré des intégrales et perdent un peu de leur force.

Rien de grave ceci dit, il me tarde juste que les autres intégrales sortent pour récupérer les histoires qui m’ont manqué à la lecture (et les bonus qui vont avec puisque du coup l’entretien avec l’auteur ne couvre que Le jeu de soi). En attendant et comme toujours, une petite revue détaillée :

Thermidor
On commence avec les aventures de Lady Johanna Constantine (déjà croisée dans La maison de poupées) qui se retrouve embauchée par le Rêve pour retrouver un objet bien particulier en France, en plein milieu de la Terreur. On a donc une sacrée héroïne (dont on aimerait lire toutes les aventures) et de belles références historiques, très plaisant à lire.

Auguste
Auguste, le premier empereur de Rome, embauche un nain comédien pour passer avec lui une journée déguisé en mendiant. Pourquoi donc ? C’est tout le propos de cette histoire qui offre une vision très intéressante de cet empereur de Rome. C’est mon énième relecture et je crois que je viens enfin de capter quelque chose dans ce que raconte l’empereur. Il m’en aura fallu du temps.

Trois septembres et un janvier
De toute la série, c’est une de mes histoires préférées, qui met en scène le seul et unique empereur des Etats-Unis, Norton Ier qui se retrouve au cœur des conflits entre le Rêve et ses frères/sœurs. C’est à la fois drôle et émouvant, et tellement absurde qu’on croirait qu’il s’agit d’un personnage inventé. Et bah non.

Le jeu de soi
Le plus gros morceau du recueil est une histoire difficile à résumer, mettant en scène le personnage de Barbie (qu’on avait croisé dans La maison de poupées) qui se retrouve prise au piège de ses rêves de fantasy plus vrais que nature. C’est une histoire qui m’a toujours un peu posé problème.

Elle déborde pourtant de choses très intéressantes : les rêves de Barbie qui rendent un joli hommage à Oz, Narnia et j’en passe des meilleure ; l’extraordinaire personnage de Wanda ; l’histoire touchante de Foxglove et Hazel ; ce côté « le monde est très petit » si caractéristique des univers de Neil Gaiman où des personnages mineurs des tomes précédents se retrouvent au premier plan, croisant des relations d’autres héros de la série et ainsi de suite.

Et pourtant j’ai toujours un peu de mal à rentrer dedans, et je n’en sors pas pleinement satisfaite. Dans les bonus, l’auteur dit qu’il s’agit d’une histoire « qui dérange », et il n’a pas complètement tort je crois.

A noter que je ne peux que saluer la nouvelle traduction de Patrick Marcel, qui a pris la peine de s'aligner sur la nouvelle traduction du Hobbit pour une petite référence qui est faite à l'oeuvre dans cette histoire. J'ai apprécié ce sens du détail !

La chasse
Un grand-père raconte à sa petite fille une histoire qui se déroule dans une Russie des temps anciens. J’aime beaucoup le format (un conte) les dialogues délicieux entre les deux interlocuteurs, et la conclusion assez rigolote dans son genre. Une histoire certes anecdotique, mais délicieuse.

Zones floues
Après la Rome, le Paris révolutionnaire et la San Francisco du XIXe siècle, nous voilà encore avec vrai-faux récit historique, qui s’intéresse cette fois à Marco Polo dans sa jeunesse. Je n’ai pas vérifié, mais je suppose que l’auteur s’appuie sur un extrait des voyages de Marco Polo pour imaginer ce désert où l’on peut s’égarer par mégarde dans le monde du rêve. Le résultat est onirique juste comme il faut.

Le théâtre de minuit
Et un texte inédit jusque là, un ! Cette étrange histoire met en scène Wesley Dodds alias Sandman, un super-héros qui combat le crime en jetant du gaz soporifique sur les criminels. Menant son enquête à Londres, son chemin croise celui des protagonistes de Préludes et nocturnes, vous savez, la joyeuse bande qui a capturé le rêve. Les dessins sont vraiment sympas, et une petite confrontation entre le Sandman originel, et celui créé par Gaiman, ça ne se refuse pas.

Les fleurs de l’amour
Cachée dans les bonus, cette petite histoire parle du Désir et d’une de ses créatures, le satyre. Ce court récit est plutôt anecdotique, mais les dessins superbes valent le détour.

Voilà pour cette fois, il ne me reste plus qu’à attendre patiemment le volume 4, prévu pour fin mai !

CITRIQ


dimanche 16 mars 2014

Blanche Neige, rouge sang (anthologie)


La mémoire est une chose assez amusante, à ne fonctionner que par association. Si je me souviens avoir acheté ce livre en 2003, c’est uniquement parce que je l’ai déniché en occasion le week-end où je passais le concours d’entrée de l’Ecole du Louvre. J’ai picoré quelques nouvelles avant de le laisser tomber dans l’oubli des années durant, jusqu’à que le challenge de Lhisbei me motive à le sortir de son étagère.

Blanche neige, rouge sang est un recueil qui a l’époque me faisait saliver d’envie : des contes de fées revisités en version adulte par des auteurs, comment résister, surtout quand la première nouvelle est signée par Tanith Lee (à l’époque je sortais à peine du Dit de la Terre Plate).

Pourtant je n’ai jamais réussi à le finir. Je me disais que c’était peut-être à cause d’un ton trop adulte qui me gênait, ou parce que c’était parce que les subtilités de certains textes m’échappaient, mais dix ans plus tard, je suis forcée de constater que c’est surtout une anthologie assez inégale en qualité.

A noter que la version française a été tronquée de trois nouvelles, j’ignore les raisons mais je suis un peu déçue de ne pas avoir l’occasion de lire les textes d’Elizabeth A. Lynn et de Caroline Stevermer. Le sommaire a également été complètement bouleversé si je me fie à la page wiki de l’anthologie (et c’est un peu dommage), à se demander ce qui se passe parfois pendant le processus de traduction.

Mais on ne va pas épiloguer sur le sujet, parlons plutôt des bons côtés de cette anthologie, et déjà, les introductions des deux anthologistes, Terri Windling et Ellen Datlow. Elles sont très intéressantes à lire, et celle de Terri Windling mérite pratiquement le détour à elle seule, en rappelant ce que sont réellement les contes de fées.

A part cela, l’anthologie (française) compte dix-sept nouvelles plutôt variées, leur seul point commun étant de presque toutes se baser sur un conte (plus ou moins connu) comme Blanche-Neige, Poucette, ou Le petit chaperon rouge.

Il y a de tout : de la réécriture à tendance SF ou fantasy, basée dans le monde moderne, des versions plus sexualisées, d’autres qui tirent vers la psychanalyse ou qui offrent une interprétation alternative. C’est un peu la loterie, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ni si on va aimer ce qu’on lit.

Au final, j’ai l’impression d’être passée à côté de pas mal de textes. D’autres m’ont plus marquée heureusement, et c’est de ceux-là dont je vais vous parler :

Perce-Neige de Tanith Lee
Cette variation futuriste autour de Blanche-Neige s’intéresse (comme souvent dans ce genre de réécriture) à la figure de la belle-mère. J’ai mis des années à vraiment comprendre ce texte pas plus joyeux que le conte d’origine, mais j’aime beaucoup comme Tanith Lee arrive à remettre en scène tous les éléments symboliques (la pomme, le corset, la fille aux cheveux noirs et à la peau blanche…) à sa façon. Ceci dit il me semble avoir lu une autre version bien plus intéressante de la même auteure.

La Lune se noie tandis que je dors de Charles De Lint
Adapté d’un conte dont j’ignorais l’existence (celui de la Lune morte / Lune enterrée), cette histoire mêle rêve et conte avec ces deux amies qui discutent, l’une racontant le rêve très réel qu’elle vit chaque nuit. L’atmosphère est belle et féérique à souhait, l’intrigue n’est pas trop tarabiscoté, c’est donc un vrai plaisir à lire.

Carmina de Wendy Wheeler
Il s’agit d’une version moderne du Petit chaperon rouge où je me demande presque qui du loup (plutôt civilisé et raffiné pour le coup) ou du chaperon (qui est en fait la fille de la maitresse du loup) est le plus effrayant. Je suis tombée sur une critique qui évoquait un croisement entre le conte d'origine et Lolita, ça vous donne une idée du programme !

Les Enfants substituées de Melanie Tem
Tirant son inspiration d’un conte suédois, ce texte joue avec la notion de changeling (ces enfants fées qu’on retrouvait dans le berceau à la place du sien). Le résultat est très noir et extrêmement malsain, d’autant plus la noirceur ne vient pas du tout de sa partie « magique » mais de ses interrogations bien terre à terre sur la notion de maternité.

Comme les voix d'une chorale d'anges de Leonard Rysdyk
Il s’agit probablement du texte le plus surprenant du recueil, qui adopte un point de vue bien particulier dans un conte bien connu. C’est un peu confus à la lecture, mais délicieux quand on commence à comprendre de quoi il en retourne.

Chaton de Esther M. Friesner
Il s’agit là de mon deuxième texte favori du recueil (le premier reste à venir). Il réécrit le Chat botté en ajoutant de la noirceur bien sûr, mais aussi tout un background de fantasy qui justifie l’existence d’un chat parlant qui porte des bottes ou celle d’un ogre métamorphe. La fin est un peu étrange, mais j’ai beaucoup aimé cette variation qui contient presque matière à roman.

Miettes et cailloux de Lisa Goldstein
Le hasard fait plutôt bien les choses puisque je termine sur le texte le plus beau et le plus intéressant du recueil. En VO il était placé à la toute fin de l’ouvrage (et non à 3 ou 4 nouvelles de la fin comme en VF) et je comprends un peu car il est difficile de lire quoi que ce soit après.
Miettes et cailloux tisse des liens entre les contes qu’on raconte aux enfants et les secrets de famille, alors que deux sœurs se tiennent au chevet de leur mère mourante. C’est une nouvelle absolument poignante, et je pense que je ne lirais plus jamais Hansel et Gretel de la même façon. Voilà qui donne bien envie de s’intéresser aux autres textes de cette auteure.

Voilà pour le petit tour des textes qui m’ont le plus marqué dans cette anthologie. Ce qui est un peu étrange dans cette anthologie, c’est que pour la plupart des auteurs que je connais parmi les présents (notamment Tanith Lee ou Neil Gaiman, oui je ne vous ai pas parlé de sa nouvelle mais je la connais de Miroirs et fumées donc je l’ai parcourue en vitesse), je les ai tous vu écrire des textes bien plus réussis/marquants/bouleversants dans le domaine des contes.

Dommage pour cette anthologie bien alléchante, mais au contenu assez inégal. A emprunter de préférence, pour picorer les meilleurs textes !

CITRIQ

jeudi 13 mars 2014

La maison des derviches - Ian McDonald


Le moins qu’on puisse dire à propos de Ian McDonald, c’est que c’est un auteur intimidant. Pas humainement parlant, mais ses livres semblent être (et se révèlent tous jusqu’à maintenant) de tels monuments que je les aborde toujours avec un mélange bien dosé de crainte et d’admiration.

C’est pourquoi après l’excellent Roi du matin, reine du jour, il m’a fallut plus d’un an (et maints rendez-vous manqués sous forme de livres empruntés et rendus sans avoir été lus à la bibliothèque) pour oser m’attaquer à un nouveau texte. Et tant qu’à fait, j’ai opté pour du lourd avec La maison des derviches (qui comme vous le savez tous a reçu le prix Planète-SF des blogueurs l’année dernière).

Avec ce roman, nous partons donc Istanbul, en 2027, alors que la Turquie a rejoint l’Union Européenne. Dans ce futur proche, l’auteur nous fait suivre le destin d’un certain nombre de personnages dont les destins finissent forcément par s’entrecroiser, suite à un attentat dans un tramway.

Nous avons donc un trader qui prépare le coup du siècle, une vendeuse d’antiquités qui part en quête d’un objet presque mythique, un jeune garçon à la santé fragile qui vit reclus au travers de ses robots, un vieil économiste à la retraite, une jeune diplômé en marketing qui se retrouve à vendre un projet de nanotechnologie révolutionnaire et un jeune homme qui suite à un attentat se retrouve avec la capacité à voir les djinns.

Le moins qu’on puisse dire à propos de La maison des derviches, c’est qu’il ne s’agit pas d’un roman facile. L’écriture extrêmement riche, les intrigues multiples, tout cela demande déjà des efforts, d’autant plus qu’on est projeté dans un univers qu’on ne connait pas forcément très bien.

Une histoire qui se déroule en France, aux Etats-Unis ou plus généralement dans le monde occidental, on est forcément toujours en terrain connu. Istanbul, c’est un peu un autre monde, à la fois très semblable et très différent, et je suis assez admirative du travail de l’auteur qui a sans doute multiplié les recherches pour un résultat qui n’est pas un catalogue de clichés, pas un documentaire, juste un portrait extrêmement vivant d’une ville.

Du coup les (cent) premières pages ne sont pas vraiment faciles, mais l’effort fourni est amplement récompensé : on finit par rentrer dans la ville, dans la peau des personnages, et on savoure cet ensemble extrêmement complet qu’est cette Istanbul de 2027.

Car c’est là tout l’intérêt du roman : il ne se contente pas de parler d’un aspect de la vie dans le futur, il les aborde tous : politique, économie, évolutions technologiques, place de la religion… chaque thématique aurait pu remplir un roman à elle toute seule, mais l’ensemble est suffisamment équilibré pour qu’on trouve son compte pour chacune.

Evidemment, on accroche plus ou moins à certaines parties à cause de cela (j’ai eu bien du mal à suivre les manipulations économiques du trader, j’étais bien plus à l’aise avec les aventures archéologiques de sa femme), mais on sort vraiment de La maison des derviches avec le cerveau qui bouillonne d’idées, et un émerveillement qui reste à l’esprit encore quelques jours après la lecture.

Un très beau roman donc, exigeant mais qui mérite qu’on fasse quelques efforts à la lecture. Je vais prendre le temps de le digérer, et je continuerai à coup sûr à lire les ouvrages d’Ian McDonald.

CITRIQ