mercredi 21 juin 2023

Lais – Marie de France

Couverture des Lais de Marie de France

Après avoir lu le roman Matrix, qui mettait en scène la vie de la poétesse Marie de France, j’ai assez logiquement voulu faire connaissance avec son œuvre. J’ai donc opté pour ses Lais, des courts récits en vers.

Ces textes écrits au XIIe siècle en anglo-normand (une variante de l’ancien français) sont connus par le biais de plusieurs manuscrits plus ou moins complets (le plus ancien et le plus complet datant du XIIIe siècle).

Pour cette lecture j’ai opté pour l’édition traduite par Françoise Morvan parce qu’elle était récente (2008), disponible en poche et accessoirement j’avais bien aimé les quelques extraits du texte d’accompagnement disponible sur Wikipédia (j’y reviendrais).

Et c’est plutôt un bon choix. Françoise Morvan propose en effet une traduction qui se veut à la fois très accessible et en même temps respectueuse de la forme d’origine en vers, et ça fonctionne bien. On sent qu’on lit des textes d’une autre époque (le format, la présence d’un vocabulaire désuet parfois tel que le joli mot remembrance), et en même temps c’est très fluide et agréable à lire.

Il y a des textes d’accompagnement et des notes mais ils n’occupent pas tout l’espace. Il n’y a « que » 30 pages de notes qui éclaircissent quelques détails et précisent les difficultés de traduction ou les variations entre les différentes versions des Lais. C’est presque trop peu à mon goût, mais la bibliographie à la fin mentionne une édition de référence, je sais où me diriger si jamais j’ai des envies d’en savoir plus.

Voilà pour l’ouvrage, parlons maintenant des Lais en eux-mêmes. Ils sont au nombre de douze, de taille variable et sont précédés d’un prologue, où Marie de France explique avoir couché sur le papier des récits qu’elle a entendus.

Tous ces récits sont des histoires d’amour courtois. Cela implique donc des seigneurs et des chevaliers, des dames (mariées ou non), des amours (illégitimes ou non), des aventures et bien sûr une touche de magie sous forme de bateaux mystérieux, d’amants et d’amantes invisibles, d’hommes changés en bêtes et j’en passe.

Même sans avoir lu ces Lais, on a l’impression d’avancer en terrain connu parce qu’on y retrouve des structures qui nourrissent notre imaginaire depuis des siècles : l’amour impossible, l’homme (ou la femme) déchiré(e) entre amour et devoir, l’enfant perdu qui regagne son héritage et autres éléments qu’on a forcément déjà croisé dans des contes et légendes.

Il y a aussi des histoires de la Cour du Roi Arthur (même si je crois qu’il n’est jamais nommé, son identité ne fait guère de doute quand sont mentionnés Yvain et Gauvain) et une version assez primitive (et qui me semble nettement moins sinistre dans sa conclusion) de l’histoire de Tristan et Yseult.

Beaucoup d’histoires finissent mal mais pas toutes et certaines conclusions sont complètement perchées quand on les lit avec notre regarde actuel. Il y en a une (Le Lai d’Éliduc) où (attention je vais divulgâcher un récit du XIIe siècle !) après une histoire d’infidélité amoureuse, tout le monde se pardonne, la première femme entre au couvent pour que son mari puisse épouser son amante, et à la fin tout le monde finit par entrer dans les ordres. Je ne l’avais pas vu venir celle-là !

L’ensemble forme une lecture très agréable. J’ai bien aimé globalement ces récits qui reflètent des problématiques liés à une société très différente des nôtre, mais qui touchent pourtant juste sur certains points. Je pense notamment au Lai de Yonec où une femme vit enfermée dans une tour et reçoit la visite d’un amant magique (non ne me posez pas de question). L’introduction où on découvre que qu’elle a été mariée à un homme qui la garde enfermée dans une tour sans jamais voir personne m’a plus affectée que je pensais, parce qu'en quelques vers, Marie de France rend parfaitement compte de l'horreur de la situation.

C’était donc une belle découverte que ces Lais, d’autant plus dans ce format à la fois respectueux de la forme d’origine et accessible en même temps (j’ai jeté un œil aux éditions du XIXe siècle disponibles en ligne, la traduction est en prose par exemple ce qui semble absurde aujourd'hui). Et c’est très plaisant de découvrir/redécouvrir tout un matrimoine dont on parle trop peu.

Je suis maintenant à deux doigts de me procurer ses Fables, qui m’intriguent parce qu’elles ont été lues pendant près de six siècles, mais aussi à cause de ce passage sur Wikipédia :
L'originalité de ces fables, selon Françoise Morvan, tient au fait que « l'oppression des pauvres est dénoncée avec virulence », sans pour autant tomber dans le manichéisme. Marie de France y dénonce les abus des puissants, et « fait une création esthétique au sens plein, exprimant une vision critique de la société, et portant une conception politique d'autant plus audacieuse en ce temps qu'exprimée par une femme »
Avouez que ça donne envie, non ?

Infos utiles : Il existe de nombreuses éditions des Lais de Marie de France, plus ou moins complètes et avec des traductions différentes. J’ai opté pour l’édition/traduction de Françoise Morvan parue chez Actes Sud/Babel en 2008. 264 p. La couverture reprend une enluminure d’une Bible du XIIIe siècle qui montre Osée et Gomer.

D’autres avis : Sur Babelio

8 commentaires:

Baroona a dit…

"attention je vais divulgâcher un récit du XIIe siècle !" : c'est scandaleux de ta part, ça ne fait même pas un millénaire que c'est paru, laisse un peu de temps aux gens pour être à jour de leurs lectures enfin.
Et donc, cet amant magique ? 👀
Est-ce que tu as déjà commencé à écrire ton futur guide de lecture de Marie de France ?

Vert a dit…

@Baroona
Au moins ça ira vite vu le peu de textes qui sont parvenus jusqu'à nous 😁
Pour l'amant magique, si je me plante pas de récit il se change en oiseau et il me semble que personne ne peut le voir avec elle quand il vient la visiter.

Alys a dit…

Trop bien! C'est super intéressant! Ça m'évoque un peu "actuel Moyen Âge", nom d'un podcast si je ne m'abuse – une période historique à la fois très éloignée et plutôt proche. Merci pour la découverte!

Tigger Lilly a dit…

Très intéressant. J'ai toujours vu ce genre de récit un peu compliqué à lire because of ancien français, même si réadapté. Ca m'aurait plu de voir un petit passage cité pour qu'on voit le verbe en action ^^

Vert a dit…

@Alys
Je connais le compte Twitter d'Actuel Moyen-Âge et j'aime beaucoup en effet ^^

@Tigger Lilly
Je suis pas très douée pour sortir des citations donc j'ai pris un peu au hasard :
Jadis on allait racontant
(Et la chose arrivait souvent)
Que d'aucuns, changés en Garous,
Fuient dans les bois comme des loups.
Le Garou est bête sauvage ;
Tant il est pris de cette rage.
Il tue les gens, fait grands méfaits,
Et vit et court dans les forêts.
Mais sur ce, en voilà assez :
Du Bisclavret je vais parler.

shaya a dit…

C'est super intéressant en tout cas, et j'avoue que le coup de "tout le monde se pardonne, les amants se marient et tout le monde finit dans les ordres", c'est original. Bon je passerai mon tour mais je viendrai avec plaisir lire la chronique des Fables !

Ksidra a dit…

Tu es courageuse ! Je ne pense pas que j'oserais me lancer dans une lecture pareille. Est ce qu'il n'existerait pas une version bilingue ? Ce serait sympa de comparer l'original avec la traduction.

Vert a dit…

@Shaya
J'ai bien fait de les acheter alors 😅

@Ksidra
Il y a des éditions bilingues mais ce n'est pas le cas de celle-ci qui vise plutôt le grand public. A vrai dire je sais pas si on en retirerait grand chose, y'a quelques extraits dans les Fables et c'est assez imbitable.