samedi 29 janvier 2022

Expiration – Ted Chiang

Alors que certains auteurs sont de véritables machines à écrire vivantes, capables de publier un nouveau livre chaque année, d’autres sont beaucoup moins prolifiques. C’est le cas de Ted Chiang qui a publié moins d’une vingtaine de nouvelles en trente ans. Mais quelles nouvelles ! J’avais bien apprécié celles que j’avais lu dans le recueil La Tour de Babylone, je me devais donc de lire son nouveau recueil, Expiration.

Le recueil s’ouvre sur Le Marchand et la Porte de l'alchimiste, un joli récit ambiance Mille et Une Nuits autour de la question du voyage dans le temps. Le mélange science/conte pourrait sembler improbable, mais cela fonctionne très bien.

On poursuit ensuite avec Expiration, la nouvelle qui donne son titre au recueil. C’est l’histoire de la fin d’un monde, tout simplement. Cela pourrait être triste, mais c’est si joliment raconté que cela en devient beau, d’autant plus que le monde en question est très dépaysant dans sa conception.

Ce qu'on attend de nous est un très court texte sur la question du libre-arbitre. C’est intéressant même si je la trouve moins percutante que celle de Greg Egan que j’avais lue récemment sur le même sujet.

Le Cycle de vie des objets logiciels est le gros morceau du recueil. Cette novella s’interroge sur le devenir de créatures dotées d’intelligence qui évoluent dans un monde virtuel. Cette histoire s’étend sur une période très longue et se révèle d’une très grande richesse sur tout un tas de thèmes, des relations avec les animaux à l’obsolescence logicielle.

On quitte le domaine des mondes virtuels pour le steampunk avec La Nurse automatique brevetée de Dacey, nouvelle qui s’interroge sur les conséquences de confier l’éducation d’un nouveau-né à un robot. Jolie ambiance, chouette récit façon notice de musée, avec des questions intéressantes en plus.

La Vérité du fait, la vérité de l'émotion est comme son titre l’indique un récit sur la mémoire, la fiabilité des souvenirs et ce qu'est la vérité. Il prend la forme d’une double intrigue parallèle qui mélange traditions culturelles et nouvelles technologies. La narration est superbe et les réflexions soulevées très pertinentes, une fois encore.

Le Grand Silence est un très court texte sur la recherche d’autres espèces intelligentes. Superbe mais d’une infinie tristesse, soyez prévenus.

La nouvelle suivante est une vraie expérience de pensée. Omphalos nous emmène en effet dans un univers où le monde a bien été créé par Dieu il y a 4 000 ans, et où l’on retrouve des preuves archéologiques de ce fait (arbres sans cernes, momies humaines sans nombril, etc.). Ce concept étonnant permet un cheminement très intéressant sur les relations entre science et foi. C’est fascinant en fait.

Le dernier récit, L'angoisse est le vertige de la liberté est l’autre gros morceau du recueil en nombre de pages, et s’interroge à nouveau sur la question du libre arbitre, dans le cadre d’une technologie qui permet de discuter avec des versions alternatives de soi pour voir les choix qu’on aurait pu (ou non) faire. Encore un récit très bien mené dont j’ai bien apprécié le cheminement.

Soyons simple, Ted Chiang est juste un excellent novelliste. Je suis aussi admirative des univers qu’il déploie que de la fulgurance de ses idées et de la pertinence de ses réflexions. On peut évidemment être plus ou moins intéressé par un texte selon ses propres affinités, mais chacun d’entre eux est juste brillant.

De plus, si j’avais trouvé les nouvelles du recueil La Tour de Babylone parfois très froides, ce n’est absolument pas le cas ici. Certes on n’atteint pas le niveau d’un Ken Liu (un des rares auteurs à me faire sortir les mouchoirs), mais j’ai tout de même trouvé la plupart des histoires très touchantes.

Expiration est un excellent recueil de nouvelles dont je ne peux que vous recommander la lecture, surtout si vous appréciez ce format. C’est ma première lecture de l’année et je m’attends à la retrouver dans mon top 2022. Voilà qui va mettre la pression à ma pile à lire !

Infos utiles :
Expiration (Exhalation) est un recueil de nouvelles de Ted Chiang paru en 2019 en VO et en 2020 chez Denoël Lunes d’encre. Traduction de Théophile Sersiron. Couverture de Na Kim. 464 pages.

D’autres avis : Au pays des Cave Trolls, Le chien critique, Les lectures de Xapur, Les lectures du Maki, Lorhkan et les mauvais genres, Quoi de neuf sur ma pile

10 commentaires:

Yuyine a dit…

Je suis intéressée. Le mélange du conte et de la SF dans la première nouvelle m'intrigue particulièrement, ainsi que la beauté qui semble se dégager de l'ensemble.

Tigger Lilly a dit…

Ca a l'air rudement bien. Faudra déjà que je trouve le temps de lire La tour de Babylone 😅

Baroona a dit…

"qui a publié moins d’une vingtaine de nouvelles en trente ans" : si tout le monde faisait ça on aurait quand même beaucoup moins de mal à être à jour sur les bibliographies des auteurices. 😋
Je crois que c'est un sentiment assez partagé de trouver que c'est un meilleur recueil que "La Tour de Babylone". Ça me motive bien, vu que ça avait été une bonne lecture sans être un coup de cœur.

Alys a dit…

Ce gars a l'air très intelligent. Je garde un souvenir renversant rien que de la chronique de Lorhkan, c'est dire.

Le Maki a dit…

C'est vraiment un très bon recueil et la nouvelle Expiration est vraiment exceptionnelle.
Il faudrait que je relise La tour de Babylone quand même.

Vert a dit…

@Yuyine
Oui il faut que tu te penches dessus.

@Tigger Lilly
Ça tombe bien la première nouvelle de ce recueil pourrait te donner une solution pour ton problème de temps 😁

@Alys
Oui c'est assez cérébral, mais ce recueil est moins froid que le précédent ceci dit.

@Le Maki
C'est pas celle qui m'a le plus marquée, j'ai eu l'impression qu'il me manquait des clés pour bien la comprendre 🤔

shaya a dit…

Les thématiques ont l'air intéressantes, mais comme on dit, chat échaudé craint l'eau froide, donc, je crains de passer mon tour.

Vert a dit…

@Shaya
Et puis c'est pas ton truc les nouvelles 😉

Elessar a dit…

J'avais énormément apprécié son premier recueil, il va vraiment falloir que je mette le nez dans celui-ci !

Vert a dit…

@Elessar
Tu peux y aller les yeux fermés je pense (enfin tu les ouvriras juste pour lire 😅)