L’an dernier j’ai beaucoup entendu parler de Ken Liu lorsque je lisais le recueil La tour de Babylone de Ted Chiang. La comparaison était tout à fait pertinente tant les thématiques qu’ils traitent sont similaires sur le fond. Cependant la forme est très différente, comme j’ai pu le découvrir grâce à cet excellent recueil, La ménagerie de papier.
Dix-neuf nouvelles de taille variable composent cet ouvrage, avec des registres et des thématiques très variées (du voyage spatial et des rencontres avec l’Autre aux relations parents-enfants). Si évidemment il est difficile de toutes les aimer autant, force est de reconnaitre qu’il s’agit tous de textes brillants.
Cela est dû au juste équilibre qu’a trouvé Ken Liu. Ses nouvelles proposent d’excellentes idées de SF (le genre qui tire vers le haut) avec des développements parfois poussés voire techniques, cependant elles n’ont jamais la froideur de la hard-science car elles sont toutes profondément centrées sur l’humain. Ce qui fait que chaque texte, quelle que soit sa taille ou son thème dégage une profonde chaleur humaine (tout le contraire de Ted Chiang donc) et se révèle satisfaisant à tout point de vue.
Commençons avec Renaissance. Ce texte est une excellente mise en bouche avec cette histoire qui mêle thriller et SF dans un monde où l’effacement de mémoire a remplacé fait office de sanction en cas de faute. Voilà qui ferait un bon scénario de film !
On enchaîne ensuite sur Avant et après, une jolie pastille dont il est difficile de parler en détail, mais qui est très bien construite.
Les Algorithmes de l'amour nous raconte comment une femme se perd dans la fabrication de poupées dotées d'intelligences artificielles et dans son deuil, ce qui est à la fois émouvant et horrible.
Nova Verba, Mundus Novus est une deuxième pastille qui met en scène l’exploration d’une Terre plate, pour un résultat plutôt léger et entraînant.
Après quelques excellents amuse-gueules, Faits pour être ensemble est la première nouvelle à m’avoir vraiment frappé. Elle met en scène un futur où Cortana, Siri et autres assistantes informatiques occupent une place prépondérante dans nos vies. Le récit est très bien mené, d'autant plus qu’il montre les deux côtés de la pièce. Il est passionnant à lire et pose plein de questions du coup. Bref j’adore.
Emily vous répond est une nouvelle courte et grinçante sur l'effaçage de souvenirs qui m’a un peu rappelé Eternel sunshine of the spotless mind dans l’esprit (la forme est différente par contre).
Trajectoire est le deuxième texte à m’avoir fait vibrer grâce à son histoire qui parle d'art, de maternité d’accomplissement personnel et d'immortalité entre autres choses. Là encore j'ai beaucoup aimé le fait que l'auteur donne à voir la médaille et son revers.
Le Golem au GMS est une délicieuse histoire plutôt légère dont l'introduction suffit à donner le ton : « Le lendemain du départ de la Terre du vaisseau Princesse des Nébuleuses, Dieu s'adresse à Rebecca ». Je me suis régalée.
Avec La Peste, on assiste à la rencontre de deux humains du futur alors que l’un a vécu dans un abri sous-marin et que le deuxième devait s’adapter à un environnement hostile. L’histoire est bien menée, et j’aime l’importance donnée à l’aspect communication.
L'Erreur d'un seul bit est un texte complexe que j’ai trouvé fascinant. Il aborde la question de la foi d'un point de vue scientifique, un pari risqué mais le résultat est fort intéressant, avec un traitement très humain du sujet.
La Ménagerie de papier est une superbe nouvelle très légèrement fantastique autour d'une relation mère-fils, qui aborde la question de l'immigration et celle de la barrière des langues. Elle est très touchante à lire et mérite bien ses lauriers.
Le Livre chez diverses espèces s’amuse à imaginer les formes possibles de transmission du savoir chez des espèces extra-terrestres, pour un résultat plutôt amusant.
Dans Le Journal intime, une femme perd sa capacité à lire en tombant sur le journal intime de son mari. Le résultat est un récit plutôt étrange qui parle d’incompréhension.
L'Oracle rappelle un peu les thématiques de Minority Report avec son héros qui vit au ban de la société car il a un jour eu une vision de son futur où il allait être condamné à mort pour meurtre. C’est une jolie réflexion sur le destin.
La Plaideuse est une enquête sur un meurtre dans une Chine ancienne (imaginaire je présume). C’est un texte plaisant et bien mené, on aurait facilement envie d'en lire plus à ce sujet.
Le Peuple de Pélé est une très jolie histoire sur une colonie humaine sur une autre planète, qui doit gérer les communications différées avec la Terre, entre autres choses.
Mono no aware nous raconte l’héroïsme ordinaire lors de la fin du monde et d’une aventure spatiale et se révèle touchant.
La Forme de la pensée se penche sur la rencontre d’humains et d’une espèce intelligente complètement différente. La nouvelle est superbe dans cette façon de mettre en scène un mode de communication complètement différent, et dure dans son jugement de l'espèce humaine (mais ô combien juste).
Le recueil se conclut sur Les Vagues, une ultime histoire de voyage spatial qui aborde cette fois ci la question de l’évolution et de l’immortalité. Ces thèmes très intéressants sont superbement traités avec une jolie narration qui alterne avec des récits cosmogoniques.
Voilà pour ce « petit » tour d’horizon des nouvelles présentées dans ce recueil. Évidemment j’ai mes favorites, mais globalement il n’y a pas un seul texte qui m’ait déplu ou qui m’ait laissé sur le carreau, ce qui est plutôt rare dans ce genre d’ouvrage. Inutile de dire que je suis plus que satisfaite de ma lecture et si vous n’avez pas encore lu La ménagerie de papier, je vous invite à vous jeter dessus.
D’ailleurs je suis bien embêtée pour ma part, ayant emprunté l’ouvrage à la bibliothèque, j’ai désormais bien envie de m’acheter un exemplaire pour pouvoir l’exhiber fièrement sur mes étagères !
(mais comme Infinités, dans le genre multipass il est pas mal aussi ce bouquin !)