Ca y’est les enfants, nous quittons les rives concrètes du Silmarillion et du Seigneur des Anneaux pour nous embarquer sur le nébuleux océan du reste de l’œuvre de Tolkien, beaucoup plus fragmentaires, puisqu’il s’agit pour la plupart de compilations de fragments de texte et de notes réalisées par son fils.
Nous attaquerons notre voyage par un ouvrage qui ne cache vraiment pas son statut : les contes et légenges inachevés (alias the Book of Unfinished Tales). La vf incite à penser qu’il se compose de trois tomes, mais c’est encore une histoire de découpage saugrenu… Faire trois articles serait plutôt répétitif, on se contentera d’un seul.
Mais tant qu’à parler de la vf, j’aimerais autant attaquer avec le sujet qui fâche : la traduction. Jusque là je lisais en vo, mais un certain manque de place, sans parler du fait que je lis bien plus vite en vf, m’a incitée à reprendre mes bons vieux exemplaires français. Grand mal m’en pris. Le ton est donné dès l’introduction, en note de bas de page :
« A l’exception du Silmarillion, les ouvrages de J.R.R. Tolkien traduits en français ne comportent pas les nombreux appendices donnés dans l’édition anglaise. Lorsque référence est faite à ces Appendices, le lecteur devra donc consulter l’édition anglaise. De même, l’Index figurant dans l’édition anglaise du présent ouvrage a été omis. Nous renvoyons le lecteur à l’Index du Silmarillion dans sa traduction française, ou à l’Index de l’édition anglaise. »
Sympa d’entré de jeu n’est ce pas ? Bon en fait l’absence des appendices renvoie au Seigneur des Anneaux, les Contes et légendes inachevés ont les leurs, c’est déjà ça. Mais on est toujours content de devoir se référer à 1) un autre livre ou 2) la version originale pour certains éléments. Car ce n’est pas juste l’index qui a sauté, mais aussi les cartes (à la place on a les versions illisibles de celle du Seigneur des Anneaux qui ne servent guère qu’au troisième tome).
Et comme si ça ne suffisait pas, le texte contient pas mal de coquilles, des fautes de frappe en tout genre sans parler de confusions dans les noms (inversions entre Huor et Tuor par exemple)… Et puis autant je comprends que la traductrice ait gardé les noms originaux des personnages (comme Saruman ou Frodo), autant j’explique mal qu’elle fasse sans cesse référence à un ouvrage nommé la Fraternité de l’Anneau. Vous le connaissiez celui-là ?
Si mes étagères ne débordaient pas sous les bouquins, j’aurais investi directement dans la VO ! On verra pour ma prochaine relecture dans dix ans, en attendant, parlons plutôt du contenu.
Les Contes et légendes inachevés sont… comment présenter ça... Ce sont des textes incomplets de Tolkien, sur des sujets divers et variés, rassemblés et annotés par son fils pour en faire des histoires à peu près lisibles.
Celles du Premier âge sont des pures prolongations du Silmarillion, tandis que celles du troisième viennent, bien évidemment, éclaircir certains points du Seigneur des Anneaux. Le deuxième âge, lui, s’intéresse surtout à Numenor, ainsi qu’à Galadriel.
Ce n’est pas forcément un ouvrage que je recommanderais à tous, parce qu’il n’est pas facile à aborder. Certains textes sont plus des fragments intercalés de longs monologues de Christopher Tolkien, pas forcément aboutis, et d’autres s’ils pourraient se lire d’une seule traite sont interrompus par une quinzaine de notes. Sans parler de ce fantastique passage où on nous invite clairement à relire le Silmarillion pour avoir le passage entre deux fragments de note.
Mais pour quelqu’un qui veut continuer à découvrir l’univers de Tolkien, cela donne l’opportunité de plonger un peu plus en Terre du Milieu, et d’en découvrir des aspects peu abordés jusque-là (notamment sur Numenor ou l’histoire de Galadriel). Accessoirement, c’est l’occasion de prendre une fois de plus conscience de l’immensité de l’univers créé par Tolkien. On appréciera particulièrement à ce sujet cette note dans l’appendice sur les Istari :
« Dans une lettre écrite en 1956, mon père dit : ‟Dans le Seigneur des Anneaux, il n’est presque jamais fait référence à quelque chose qui n’ait pas son existence propre (en tant que réalité d’ordre secondaire, ou sous-jacente à la création)₺ ; et dans une note appendue à cette remarque, il ajoute : ‟les chats de la Reine Beruthiel et les noms des deux autres mages (avec Saruman, Gandalf et Radagast, ils étaient cinq) sont les seules exceptions qui me viennent en mémoire₺ »
La note continue en racontant justement l’histoire –certes partielle- des chats de la Reine Beruthiel. Et l’essai lui-même contient le nom des deux autres mages, à défaut d’éclairer leur destin. Autant dire qu’il n’y a pas un élément dans Tolkien qui n’a pas son existence propre, au final !
Comme j’ai eu la bonne idée de prendre des notes cette fois-ci, rentrons maintenant un peu dans le détail de ces histoires, pour ceux qui les ont déjà lu bien sûr :
De Tuor et de sa venue à Gondolin : L’histoire de Tuor est une des plus abrégées de tout le Silmarillion, du coup tout prolongement est bienvenue. Ceci dit c’est un peu frustrant qu’on s’arrête quand l’histoire commence vraiment, après l’impressionnante rencontre avec Ulmo et l’incroyable description des sept portes.
Narn I Him Hurin, la geste des enfants de Hurin : ça doit être l’histoire favorite de Tolkien, j’a jeté un œil à mes prochaines lectures et ce sont encore des versions de cette histoire. C’est agréable d’avoir plus de détails sur certains passages, et sur le personnage de Morwen, par contre le coté tronqué avec les renvois au Silmarillion est frustrant (je ne me balade pas avec en permanence personnellement…).
Une description de l’Ile de Numenor : c’est un texte intéressant à lire pour faire un peu connaissance avec cette île marquante dont on sait peu de choses, ceci dit le fait que la carte qui accompagne le texte ait disparu en vf rend la lecture un peu délicate…
Aldarion et Erendis : fragmentaire, mais passionnant ce petit conte. Tolkien a écrit de magnifiques histoires d’amour (Beren et Luthien, et tout ce qui suit), mais là c’est une histoire d’amour qui tourne mal, avec la dure vie d’une femme de marin. C’est vraiment chouette, d’autant plus qu’on en apprend plus sur Numenor.
La Lignée d’Elros, les rois de Numenor : Ca m’arrive souvent de me retrouver à parcourir les lignées royales sur Wikipedia, alors j’adore forcément les équivalents en Terre du Milieu. C’était déjà passionnant dans les appendices du Seigneur des Anneaux, là c’est même un délice, tous ces personnages qu’il a imaginé et cette histoire de la chute de Numénor juste par la chronologie…
L’histoire de Galadriel et de Celeborn, et d’Amroth, roi de Lorien : C’est un chapitre assez confus, qui montre toute la complexité de la construction de l’univers de Tolkien, avec de multiples variations et versions contradictoires d’une même histoire, des récits différents qui peuvent ou non avoir un rapport (selon si Amroth est ou non le fils de Galadriel). J’aime beaucoup les premières versions du personnage de Galadriel, très fort et révolté. Je trouve que ça colle mieux à son personnage que les dernières considérés par Tolkien.
Le désastre des champs d’Iris : c’est un texte intéressant parce qu’il offre une perspective plus nuancée sur le personnage d’Isildur (qui n'est quand même pas une superbe figure dans le Seigneur des Anneaux), et accessoirement un bel aperçu de ce qu’étaient les hommes de l’Ouest au début du 3e âge (et c’est impressionnant !). Par contre le texte est un peu trop pollué par les notes.
Cirion et Eorl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan : Très très intéressant ce texte, sur la figure de Cirion, et les liens entre Rohan et Gondor. Et la tombe d’Elendil, c’est un passage qui m’a toujours marqué. Par contre géographiquement parlant je ne m’y retrouve pas dans ce texte.
La Quête de l’Anneau : Un petit texte qui vient compléter le Seigneur des Anneaux et en éclaircir quelques points. J’ai bien aimé le point de vue de Gandalf, ça change de la narration habituelle et c’est marrant de voir que Tolkien a testé toutes sortes de points de vue…
Les batailles du Gué de l’Isen : Là on est pratiquement dans le director’s cut, avec la description d’un passage qui n’est qu’évoqué dans le Seigneur des Anneaux, avec la mort de Theodred (qui est un homme et pas un gamin comme dans le film). Un petit plus sympa.
Les Druedain / Les Istari / Les Palantiri : Pour finir, on conclut sur des textes un peu encyclopédiques. J’ai adoré celui sur les Druedain qui permet de découvrir une culture d’un peuple qu’on ne fait guère qu’apercevoir dans le tome 3, et celui sur les Istari qui permet d’apprendre plein de choses sur l’origine de Gandalf. Celui sur les palantiri reste un peu obscur par contre…
Voilà, c’est fini pour ceux-là, la prochaine fois je m’attaque au Livre des Contes perdus ! C’est la grande ascension qui commence, la dernière fois que j’ai voulu lire tout Tolkien, c’est sur cet ouvrage là que j’ai buté !