dimanche 21 septembre 2014

L'anniversaire du monde - Ursula K. Le Guin


En fait, je n'en avais pas tout à fait fini avec l'Ekumen, superbe cycle de SF de Ursula Le Guin. Il reste des nouvelles, éparpillées ici et là, ainsi que ce recueil, qui regroupe sept nouvelles se déroulant dans cet univers, et une novella un peu à part. Du coup je n'ai pas pu résister, à la première envie de nouvelle je me suis jetée dessus.

Après une introduction fort intéressante où l'auteur présente tous ses textes (et j'avoue que même son introduction est charmante, cette grande dame doit ensorceler ses livres, je ne vois pas d'autre explication !), on entre donc dans ce recueil de textes qui peuvent sembler très différents, mais qui fonctionnent très bien ensemble.

Cela ne tient pas forcément à l'Ekumen (le fil rouge qui les lient presque tous), mais surtout au fait qu'ils ont tous une approche assez ethnologique du récit. Ne vous attendez pas à de grandes scènes d'action ou des rythmes de folie, Ursula Le Guin nous raconte avant la vie de tous les jours dans des mondes très différents.

Souvent d'ailleurs, comme pour renforcer ce côté ethnologique, elle transforme son récit en compte rendu ou récit à la première personne destiné à l'université de Hain (Solitude, Puberté en Karhaïde), voir carrément en assemblage de documents tiré des archives (La question de Seggri).

Beaucoup de textes parlent des relations entre les personnes : amour, amitié, et sexualité aussi, ça m'a même surpris, c'est pas un sujet que j'ai souvent croisé dans ses textes jusque là. Mais nulle guimauve dans ses propos, comme toujours le ton est extrêmement juste.

Du coup même sans franchement rentrer dans l'univers, j'ai été happée par chacun des textes, sans franchement pouvoir expliquer pourquoi. Je crois que Ursula Le Guin a une écriture magique, et que sa perspective sur le monde, très ouverte, plus prompte à donner à voir qu'à juger fait des merveilles.

Dans Puberté en Karhaïde, on a l'occasion de retourner dans l'univers de La main gauche de la nuit, pour y explorer plus avant comment les habitants de la planète gèrent le fait d'avoir un genre uniquement dans leurs périodes de reproduction. C'est un complément bienvenu, très intéressant à lire.

Autre monde, autre souci lié au genre avec La question de Seggri. Sur cette planète, les hommes et les femmes vivent séparés à cause du déséquilibre des naissances (voilà qui rappelle un peu Chroniques du pays des mères). A travers différents documents, on découvre comment la société évolue avec l'arrivée de l'Ekumen. C'est un superbe texte, peut-être bien le plus beau du recueil, qui réussit l'exploit de ne jamais juger (et pourtant avec le sujet, il y avait de quoi).

Un amour qu'on n'a pas choisi est une nouvelle où on découvre un monde où les mariages se font à quatre, selon un système assez complexe de moieté. Rien que la visite de cette culture étrange vaut le détour, et les tourments de l'amour qui hantent le protagoniste principal sonnent très justes.

Coutumes montagnardes se déroule dans le même monde, mais dans un autre lieu où pour vivre avec les personnes qu'on aime, on se retrouve parfois à tricher. Sauf que quand on doit trouver l'harmonie entre quatre personnes, cela ne rend pas les choses faciles. Encore une fois j'ai aimé la plongée dans cet univers étrange, et surtout l'absurdité de la situation.

Avec Solitude, on change radicalement de sujet puisque dans cette nouvelle, l'auteure s'amuse à imaginer une culture de gens introvertis, qui vivent isolés, séparés et qui semblent être parfaitement heureux ainsi. Un texte un peu étrange, où l'on finit par se sentir aussi seul que la narratrice, c'est vraiment bizarre.

Musique ancienne et les femmes esclaves vient prendre la suite de nouvelles publiées dans un autre recueil (Quatre chemins du pardon), ce qui explique sans doute que j'ai eu un peu de mal à l'apprécier. Si les thématiques abordées (l'esclavage, les révolutions) sont intéressantes, j'ai eu l'impression de lire la dernière partie d'une histoire. Je l'apprécierais sûrement plus après avoir lu les textes qui se déroulent sur la même planète, de toute façon le recueil étant dans ma PàL, ça arrivera un jour ou l'autre.

On termine ce voyage à travers l'Ekumen avec L'anniversaire du monde, un texte un peu décalé tant il ressemble à une œuvre de fantasy avec son récit d'une jeune fille destinée à devenir Dieu. Jusqu'à qu'un peu de SF s'invite dans l'équation et justifie sa présence dans ce volume.

Paradis perdu est un texte à part, puisque c'est une novella, qui prend place en dehors de l'univers de l'Ekumen. On y suit les pas d'un vaisseau parti de la Terre pour coloniser une planète, où les générations se succèdent, les mentalités évoluent et la religion s'invite de la plus étrange façon dans l'aventure. C'est certainement l'autre texte le plus beau du livre, tant il est riche, dense et complexe. Comme quoi en 160 pages, on a largement de quoi construire une belle histoire.

Voilà pour le compte rendu détaillé. Au final, je n'ai eu le coup de cœur que pour quatre textes (Puberté en Karhaïde, La Question de Seggri, Coutumes montagnardes et Paradis perdu), mais ça n'enlève rien aux qualités des autres textes, c'est juste que je ne suis pas forcément autant rentrée dedans.

En tout cas on ne le dira jamais assez : lisez Ursula Le Guin, ses écrits sont des merveilles !

(du coup je trouve très très classe qu'on lui remette cet automne le National Book Foundation Medal for Distinguished Contribution to American Letters) (et le prix lui sera remis par Neil Gaiman, la classe !)

CITRIQ

6 commentaires:

Lorhkan a dit…

Et donc il te reste quoi à lire de l'auteur ?
Je te conseille de lui envoyer un mail pour lui demander de se remettre à l'écriture parce que ton stock se vide ! :D

Vert a dit…

@Lorhkan
Il me reste 2 romans, 4 recueils de nouvelles et une nouvelle isolée. Y'a aussi deux textes qui ont été édités chez Actes Sud (Chroniques orsiniennes et Malafrena) qui me manquent mais je suis pas sûre que ça me plaise des masses, du coup je sais pas si je vais m'obstiner à les chercher.
Ah oui et y'a sa série jeunesse Les chats volants aussi (si je suis jusque-boutiste), en fait j'ai encore quelques trucs à récupérer finalement :D

Nariel Limbaear a dit…

Maintenant que je travaille au rayon litté, je passe tous les week-end devant les Guin que je n'ai pas encore lus, frustration T_T

En tout cas, je crois que c'est grâce à elle, à travers ses romans, qu'en grandissant je n'avais pas une vision bi-genre... elle a fait un travail fabuleux, son prix est bien mérité !

Baroona a dit…

Un recueil incroyable de diversité et d'imagination.
Et le prix est plus qu'amplement mérité. =D

Kissifrott a dit…

*bave*

Oups, pardon :p

Vert a dit…

@Nariel Limbaer
Un seul remède : les lire :p

@Baronna
Tout à fait

@Kissifrott
Ne t'excuse pas c'est tout naturel ^^