jeudi 5 avril 2012

Dans la forêt des astres - Timothée Rey


Ayant beaucoup apprécié les Nouvelles du Tibbar, je ne savais pas si je devais me jeter de suite ou faire durer le plaisir avec Dans la forêt des astres, deuxième recueil de nouvelles de Timothée Rey publié aux Moutons électriques.

Et puis j’ai croisé une de ses nouvelles dans l’anthologie Super-héros ! (chronique à venir un jour prochain), et je suis si facilement retombée sous le charme de sa prose que j’ai assez logiquement enchainé sur ce recueil. Et voilà !

Ce nouveau recueil de quitte les sentiers de la fantasy pour s’engager sur ceux de la science-fiction (ou des littératures de l’imaginaire avec un grand I, certaines nouvelles ne sont juste pas faites pour rentrer dans des cases), abandonnant au passage l’unité géographique du Tibbar pour des univers différents à chaque nouvelle.

Cela induit une lecture en pointillés, chaque texte ayant son identité propre, il vaut mieux le savourer au lieu d’enchainer (c’est un peu comme les très bons chocolats, on déguste, on n’en avale pas cinq d’affilé). Pas l’idéal pour lire dans le métro donc (à moins d’avoir un autre bouquin pour alterner), mais quel délice mes amis !

Chaque nouvelle est un petit bijou finement ciselé, que ce soit pour son univers (tous plus merveilleux les uns que les autres, de la planète-œil à la Lune terraformée) pour son écriture (pleine de poésie et de jeux de mots) ou pour ses multiples références plus ou moins claires. Le ton est souvent assez humoristique (que ce soit de la franche comédie ou de l’humour noir), mais certains sont emprunts d’une douce mélancolie fascinante.

S’il n’y a qu’un défaut à trouver à l’ouvrage, c’est que l’auteur parfois en fait un peu trop avec les mots inventés et bricolés, si bien qu’on se noie dans les phrases. Par exemple, la nouvelle L’ordure/un, dont le concept est pourtant assez alléchant (il y a aussi un indice dans le titre pour l'oeuvre parodiée en version robotique) m’a presque filé la migraine (mais je l’ai lu en étant très fatiguée, ça joue aussi).

Et puis ce sont des nouvelles, parfois très courtes, donc si c’est un format auquel vous n’accrochez pas, Dans la forêt des astres risque de vous décevoir (d’autant plus qu’il n’y aucun lien entre les textes). Par contre, si vous aimez les textes courts, la virtuosité d’une histoire qui tient en quelques pages, les petits éclats de génie, nul doute que ce recueil vous ravira.

Dans l’absolu, je pourrais vous parler de tous les textes, mais il n’y en a pas moins de vingt-et-un, alors j’ai préféré vous faire une petite sélection de ceux qui me sont allés droit au cœur.

- Capitaux des péchés, premier texte du recueil, où l’on découvre un futur angoissant à la Orwell dominé par la religion, où l’ensemble de vos pêchés sont comptabilisé par un implant, ce qui donne lieu à des amendes. Entre les jeux de mots et le côté un peu ubuesque de l’univers (on se retrouve avec un péché de gourmandise rien qu’en regardant une vitrine de pâtisserie), le résultat est une nouvelle très drôle.

- Face au Quarante-et-Unième rugissant, nouvelle qui réécrit l’histoire d’une grande institution française à sa façon, grand moment de fou rire également (et puis des aliens à l’époque de Louis XIII, d’office, ça promet !).

- Pierrier-Par-Cœur contre les dévoreurs de montagne, texte que j’avais déjà lu dans l’anthologie Super-héros !, qui nous raconte la vie d’un super-héros marmotte. Dans les montagnes, luttant contre les prédateurs naturels des marmottes, qu’ils soient aigles ou hommes. Absolument génial, tout simplement.

- En attendant la concordance de phase (avec proposition de mise en scène), pièce en un acte, bel exemple de ce que peut faire l’auteur quand il s’amuse avec les classiques. Ici il nous refait la pièce de théâtre En attendant Godot en version SF, j’imagine que c’est un peu plus savoureux quand on connait la pièce, mais c’est amusant de toute façon à la lecture.

- Araignées scintillantes au-delà des gouffres, qui est un peu le pendant de Sur la route d’Ongle qu’on trouvait dans le recueil sur le Tibbar. Cette nouvelle raconte bêtement le trajet d’un train, sauf qu’il s’agit d’un train à vapeur qui voyage entre les mondes (même qu’il faut atteindre les 106 km/h pour passer d’un monde à l’autre). Avec d’aussi belles descriptions, on aimerait presque un roman sur le sujet ! Je crois bien que c’est ma nouvelle favorite de tout le recueil.

- Dix-sept feuillets épargnés du journal de Cham, qui s’intéresse au périple de Noé. J’aime bien la volonté de donner un côté très vrai au récit, avec ce narrateur qui nous parle des longues journées à bord de l’Arche, passées à nourrir les animaux et à nettoyer les cages principalement !

- La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir, ma deuxième nouvelle favorite, texte plein de mélancolie qui nous emmène visiter une Lune terraformée à l’agonie, où sa dernière habitante se remémore sa vie (et ce qui est arrivé à la Lune) tout en ramenant du bois pour se chauffer.

- « Qui suis-je ? » dit le klapoutcheewoc, conte d’inspiration africaine qui respecte à la lettre les codes du genre, avec une pointe de SF pour relever le tout, difficile d’y résister.

Voilà, je vais m’arrêter là, mais je pourrais continuer sur l’usage original qu’on fait des rêves dans Flux tendu, évoquer l’étrange royaume de Silicone carnée, ou signaler en passant la nouvelle Dans l’espace, personne ne vous entendra bailler, digne de Douglas Adams dans ses péripéties…

Les titres des nouvelles sont, vous le noterez, assez excellents, quelques illustrations viennent ponctuer les parties, et l’ouvrage en lui-même, comme toujours aux Moutons, est un beau livre (avec ses rabats découpés notamment). Autant dire que dans le fond comme dans la forme, il vaut bien ses 26 euros. Un gros de cœur pour ma part, que je vous invite à découvrir si le format nouvelles vous plait.

CITRIQ

4 commentaires:

JainaXF a dit…

Pour ma part, j'ai définitivement laissé tomber...
Je ne suis pas fan de nouvelles, mais j'ai aimé certains recueils (celui de Bordage par exemple), donc j'ai tenté le coup. Mais mis à part la première nouvelle que je trouve vraiment très bien aussi, la plupart m'ont laissé indifférentes ou m'ont ennuyé (celle quiu parodie "En attendant Godot" et celle sur Noé, en particulier !) !

Mon problème, c'est qu'il y a rarement une vraie chute à ses nouvelles, et c'est pour moi ce qui fait tout l'intérêt du format ! Bah, j'en ferai don à la bibli, il plaira sûremment à d'autres !

Vert a dit…

C'est un peu sa caractéristique, les nouvelles sans chute, ça m'avait perturbé sur le Tibbar, maintenant je suppose que j'y suis habituée et j'apprécie beaucoup justement cet autre usage de la nouvelle qui permet de multiplier les évocations d'univers merveilleux ^^.

(Même la Marmotte super-héros tu n'as pas accroché ?)

Lorhkan a dit…

Aaaaah, j'avais beaucoup apprécié "Des nouvelles du Tibbar" ! Mes finances étant ce qu'elles sont, je n'ai pas acheté "Dans la forêt des astres", ce n'est pourtant pas l'envie qui me manque...
Content de voir que c'est encore un très bon recueil ! ;)

Vert a dit…

Oui c'est sûr qu'on achète pas un livre comme ça tous les jours, mais y'a toujours l'option de se le faire offrir :D