Cet été, suite à ma lecture du roman Matrix, j’ai été prise d’une frénésie de lecture de l’œuvre de Marie de France, femme de lettres du XIIe siècle. J’ai dévoré ses Lais et je me suis ensuite jetée sur ses Fables. Je ne peux pas dire que mon enthousiasme s’est maintenu tout du long de cette lecture mais j’étais tout de même contente de mon voyage.
On connaît tous les Fables de La Fontaine (qui m’ont pourri mon bac de français), et pour les latinistes, les Fables d’Esope qui les ont en partie inspirées. Je ne m’étais jamais posée la question de l’entre-deux, mais il s’avère que c’est un format qui a réellement traversé les âges avec des exemples à toutes les époques.Et parmi tous ces recueils de fables, donc il y a l’Ysopet (un mot dérivé d’Esope pour décrire un recueil de fables) de Marie de France, qui connu un beau succès puisque ses fables furent reproduites pendant une longue période, avec parfois de très belles enluminures. Dans sa version la plus complète, on ne compte pas moins de 104 fables, plus un prologue et un épilogue (avec le fameux « Marie ai nom et suis de France » qui permet de la nommer).
C’est peut-être là où le bât blesse d’ailleurs. Une fable ça se lit, une dizaine aussi, à la cinquantième je commençais à être un peu lassée, les poésies moralistes ce n’est définitivement pas ma tasse de thé.
Mais j’ai quand même trouvé ça intéressant. Déjà pour la construction de l’ensemble : l’autrice dit avoir traduit un recueil de fables (encore une fois, toujours cette façon de s’inscrire dans une tradition) qui a priori n’a jamais existé, et reprend certes un certain nombre de fables d’Esope, mais aussi des textes d’inspiration diverses (locales et parfois très lointaines, certains chercheurs font le lien avec des récits arabes ou indiens), ce qui montre à quel point les histoires circulaient à l’époque.
Et puis il y a une belle diversité de textes, de la morale conseil de vie en passant à la morale un peu pédante, avec aussi des tacles bien sentis. Il serait d’ailleurs tentant d’isoler un ou deux textes pour en faire une féministe rebelle dénonçant le pouvoir des puissants mais quand on regarde l’ensemble il y a vraiment de tout, des textes qui résonnent encore aujourd’hui et d’autres plus difficiles à comprendre car il nous manque tout un contexte socio-culturel.
Bref c’était une découverte intéressante, mais clairement plus à picorer que comme lecture en continu. Comme pour les Lais, j’ai opté pour l’édition traduite par Françoise Morvan qui a vraiment fait un boulot formidable pour rendre ces textes accessibles sans complètement gommer leur ancienneté grâce à la conservation de termes et tournures joliment archaïques.
Je vais m’arrêter là pour ma découverte de Marie de France, vu que ses autres textes sont des récits d’édification religieuse (voilà qui promet). En tout cas c’était une sympathique parenthèse médiévale, et si l’occasion se présente, jetez un œil à ses Lais, c’est vraiment chouette (les Fables ça dépend de vos goûts).
Et comme on m’a dit que ça manquait sur les Lais, je vous mets un extrait, le début d’une fable, Le grillon et la fourmi (les titres ont été ajoutés par la traductrice) :
Un grillon, par un jour d’hiver,Et voilà la morale qui conclut la fable :
Entra dans une fourmilière.
Il y faisait froid, il y entra :
C’est le hasard qui l’y mena.
Il demanda un peu de grain
Pour subsister : il avait faim
Et il n’avait plus rien chez lui.
« Que faisais-tu ? dit la fourmi,
Au mois d’août, au temps d’engranger
Pour mettre du grain de côté ?
Il ne faut vivre, on peut le voir,(mais mes Fables préférés sont les deux La femme et son amant que j’ai trouvées très drôles, mais il est difficile de reproduire un extrait pertinent, il faut les lire !)
En insouciance et nonchaloir
Mais, comme on le peut, tout au moins,
S’efforcer d’acquérir du bien :
Qui est nanti est préféré
A qui vient geindre et quémander
Infos utiles : Comme pour les Lais, il existe de nombreuses éditions des Fables de Marie de France, plus ou moins complètes et avec des traductions différentes. J’ai opté pour l’édition/traduction de Françoise Morvan parue chez Actes Sud/Babel en 2010. 268 p.
La couverture reprend une enluminure d’un manuscrit conservé à la BNF. Comme je n’étais guère satisfaite de cette indication sur la couverture, je suis allée retrouver le manuscrit original sur Gallica : il s’agit d’un recueil de poésies françaises de la fin du XIIIe siècle qui comprend entre autres les Fables de Marie de France, introduites par cette enluminure. Vous pouvez voir la page d’origine en suivant ce lien (et lire les premières lignes des Fables dans la langue et l’écriture de l’époque si le cœur vous en dit !).
Tu as enchaîné les 104 fables ? 😱
RépondreSupprimerTrès déçu que tu n'enchaînes pas sur le reste de sa bibliographie. 👀
@Baroona
RépondreSupprimerNon pas d'une traite non plus, j'en lisais quelques unes chaque soir mais comme ça c'est un peu lassant à force 😅
Quelle motivation. Bravo d'être allée retrouver l'enluminure originale ! L'écriture n'est pas facile à lire par contre ^^'
RépondreSupprimerMerci de cette exploration médiévale. C'est tout à fait passionnant de te lire. Merci aussi pour le lien vers l'original de la couverture, c'est beau!
RépondreSupprimer"l’autrice dit avoir traduit un recueil de fables [...] qui a priori n’a jamais existé" --> C'est marrant, j'ai justement eu un atelier de traduction aujourd'hui et l'intervenante a évoqué les pseudotraductions du Moyen Âge, quand des auteurs prétendaient être traducteurs pour que le prestique de la langue ancienne supposément traduite par eux rejaillisse sur leur texte ^^ Et c'est totalement ce que tu décris ici.
Toutes les fables sont animalières ? Non, vu le titre La femme et son amant ?
RépondreSupprimerLe grillon et la fourmi fait tout de même fort penser à la cigale et la fourmi de La Fontaine, y a pas du paratexte qui explique dans quelle mesure il a pu s'inspirer (voire plus) des fables de Marie de France ?
@Ksidra
RépondreSupprimerMême avec la transcription en langue original que j'ai pour les premières pages du livre j'ai du mal 😂
@Alys
Oui c'est marrant, maintenant on crie au plagiat toutes les cinq minutes mais à l'époque la copie c'était un art de vivre
@Tigger Lilly
Il y a de tout, de l'animalier et de l'humain.
Il n'y a pas vraiment de paratexte explicatif mais pour chaque fable elle donne la source (quand elle est connue) et l'équivalent chez La Fontaine. J'avais appris il y a fort longtemps que La Fontaine tirait son inspiration des Fables d'Esope mais en fait il a certainement puisé dans plein de recueils de fables (et Marie de France probablement vu que ses fables ont été lues jusqu'à l'époque de La Fontaine)
Ok merci de la réponse, ceci éclaire ma lanterne :)
RépondreSupprimer104 fables, ça en fait un paquet ! Tu as bien du courage d'avoir lu tout ça, et bien merci pour ton exploration médiévale, je ne connaissais pas du tout ^^
RépondreSupprimer@Tigger Lilly
RépondreSupprimerJe t'en prie ^^
@Shaya
C'est bien pour ça que je fais un article ultra long, comme ça vous en profitez par procuration !