« Enfin ! » ai-je envie de dire. Je bave dessus depuis sa sortie, mais n’ayant pas 30 euros à mettre dans un bouquin (à moins qu’il soit signé NG, et encore), j’ai fini par, ô miracle, le dénicher dans une bibliothèque. Et il était temps. Encore un peu et je l’aurais lu en 2010. Et du coup je n’aurais pas pu le mettre dans mon top 3 annuel.
Oui j’annonce la couleur un peu vite, mais excusez du peu, j’en étais déjà convaincue sans avoir passé la page 3. Et quand ce sentiment perdure tout au long des quelques 700 pages sans jamais faiblir, et bien il faut se rendre à l'évidence.
Jean-Philippe Jaworski a d’abord écrit Janua Vera, un recueil de nouvelles fort sympathique autour du « Vieux Royaume », avec une grande diversité dans les styles d’écriture et dans le ton entre les nouvelles (ça allait de Pratchett au roman de chevalerie un peu guindé, c’est dire le grand écart de genre).
Gagner la guerre se concentre sur une histoire, mais alors quelle claque ! Bon déjà le poids de l’objet est suffisant pour taper quelqu’un et faire vraiment mal avec (certes mon exemplaire est celui relié en dur des bibliothèques parisiennes, en attendant il dépasse le kilo !).
Mais le contenu, c’est pareil. A la plume, nous avons le narrateur et héros (si on peut dire) de l’histoire, Don Benvenuto Gesufal. Si vous n’avez pas lu Janua Vera, tant pis pour vous, c’était le héros d’une des nouvelles, un assassin particulièrement débrouillard, une fripouille comme on en croise rarement, qui au moment où commence Gagner la guerre est le maitre espion du Podestat de la République de Ciudalia, autant dire qu’il assassine toujours, mais pour un seul patron.
Gagner la guerre, s’ouvre, à juste titre (ah ah ah), sur la fin d’une guerre contre l’ennemi de la République… et le commencement d’une autre, interne, cette fois-ci. A quelques heures près, si on avait commencé plus tôt, il aurait fallut parler de Gagner les guerres.
Au milieu de tout ça, Don Benvenuto est occupé à vomir tripes et boyaux au dessus par-dessus le bastingage d’un bateau. Oui le roman commence comme ça. Ca parait fou, mais c’est génial, parce que c’est raconté avec une telle langue, une telle richesse de vocabulaire, un tel panache, que d’office on tombe sous le charme.
« Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse. »
C’est quand même vachement plus classe que « j’aime pas la mer » (même si ça aussi, il le dit par la suite). J’irais pas jusqu’à parler de poésie, mais Don Benvenuto n’en reste pas moins un foudre d’éloquence, dans une forme particulière qui mélange avec talent injure, insulte, ironie et sarcasme. Cette écriture aux petits oignons qui fait la moitié de la saveur de l’ouvrage.
Rien que le vocabulaire, c’est de la folie. L’auteur est allé déterrer une foultitude de mots anciens, d’argots, oubliés, rares, peu employés, pour en assaisonner sa salade d’intrigues. Je regrette d’en avoir découvert la plupart dans le métro, sans quoi je serais tous allée les chercher dans un dico. Je suis sûre de ne même pas savoir ce que veulent vraiment dire la moitié d’entre eux.
Pour ce qui est de l’écriture en elle-même, on n’est pas en reste. La narration à la première personne permet de ne jamais s’ennuyer. C’est haletant, drôle, cru, parfois tout ça en même temps, et on accroche de la première à la dernière page.
L’autre point fort de l’ouvrage, c’est l’univers. Ciudalia est clairement inspirée des villes de la Renaissance Italienne (entre Venise pour le coté maritime et Florence pour les histoires de grandes familles), et il y a un solide travail de recherche derrière. On plonge littéralement dans cette ambiance d’intrigues de cour, parce que tout colle, tout simplement : les petites ruelles mitées, les palais des patriciens, les ronds de jambe hypocrites et les échanges sous la table, les artistes (oui c’est du détail, mais pour moi ça compte).
Même le reste du monde, qui est beaucoup plus medieval-fantasy (logique, de même qu’à coté de la Florence du Quattrocento, le royaume de France faisait un peu bouseux sur certains points) est bien peaufiné et hyper réaliste. Pour le coup je me suis demandée ce que les elfes et les nains fichaient là-dedans tellement ça m’a semblé incongru sur le coup (ceci dit ça reste mineur et bien intégré).
Et là-dessus, une très bonne histoire. Si vous aimez les magouilles en tout genre et les luttes de pouvoir, vous allez être servis, il y a de quoi se faire plaisir vu que tout le monde en a après le pouvoir et passe son temps à retourner sa veste et à se tirer dans les pattes entre grandes familles dirigeantes. S’il y a un mot que personne ne connait là bas, c’est bien la confiance, ou l’amitié.
Ce qui est chouette, c’est que même si c’est le sujet de notre histoire, on mange aussi (et surtout) de l’action, parce Don Benvenuto n’est pas un politicien mais un homme de main, spécialiste des cassages de gueule, des assassinats, des évasions in-extrémis et autres joyeusetés, le tout avec des descriptions bien réalistes et toujours cette virtuosité dans l’écriture.
En plus, ce même Don Benvenuto est éminemment sympathique comme héros à suivre. Pas que j’irais bien boire un verre avec lui, bien au contraire, mais c’est une crapule finie, de première classe. Jaworski aurait pu lui donner une bonne conscience, des regrets ou je ne sais quoi d’autre, un vague penchant héroïque même… et bien non, jamais.
Il a un passé –flou mais évoqué-, des relations –pas vraiment des amis, faut pas rêver-. Mais surtout, Benvenuto reste toujours fidèle à lui-même et à son premier commandement qui pourrait se résumer en trois mots : sauver sa peau.
Gagner la guerre, sauver sa peau, trois mots à chaque fois, qui résument bien l’histoire. En dire plus serait pêché, de même que de passer à coté de ce petit bijou. Il les vaut bien, les 30 euros. Attends un peu que je gagne ma vie pour t’ajouter sur mon étagère…
Il est sur la mienne d'étagère et au rythme ou vont les choses, moi, je ne le lirai qu'en 2010. Cela ne m'empêchera pas de revenir vers toi pour te donner mes impressions à ce moment là.
RépondreSupprimerJe guetterais ton avis, donc ^^
RépondreSupprimerJ'ai relayé cette critique dans le forum de la Cour d'Obéron, dont est membre l'auteur de ce roman.
RépondreSupprimerEh bien voilà, nous sommes le 17 juin et après deux mois de lecture (non, pas intense) mesurée mais toutefois passionnée, j'en ai terminé la lecture.
RépondreSupprimerWouahou \o/ ce roman fourmille de détails intéressants,on ne s'y ennuie pas une seconde, l'univers est si bien décrit qu'on s'y croit (il ne me manque qu'une carte pour comprendre un peu mieux comment les régions s'arrangent ><) ; tandis que la part de fantastique est si minime qu'on se demande ce qu'elle fait là, j'ai pris beaucoup de plaisir à suivre les aventures de Benvenuto ! Merchi Vert pour cette lecture conseillée *o* je regrette pas ! *et maintenant, l'Oiseau Moqueur*
Je suis bien contente qu'il t'ait plus :D. Pour les cartes l'auteur a expliqué sur le forum d'ActuSF qu'en fait il les a omis volontairement pour plonger le lecteur dans l'ambiance d'une époque où les cartes n'existent pas...
RépondreSupprimer(et hésite pas à repasser pour l'Oiseau Moqueur, c'est tout autre chose mais c'est délicieux quand même ^^)