mercredi 28 avril 2021

Danser au bord du monde – Ursula K. Le Guin

Danser au bord du monde - Couverture
 
Petit à petit, les recueils d’essais d’Ursula K. Le Guin arrivent en France. Après Le langage de la nuit sorti aux Forges de Vulcain en 2016 (depuis repris en poche mais ne parlons pas des couvertures qui fâchent), c’est au tour de Danser au bord du monde d’être disponible en français grâce aux éditions de l’éclat.
 
Danser au bord du monde : mots, femmes, territoires de son titre complet est un ouvrage qui regroupe 34 conférences et essais rédigés par Ursula K. Le Guin entre 1976 et 1988. Les formats sont variés, du discours de remise de diplôme au carnet de voyage. Les thématiques le sont tout autant, avec grandes catégories identifiées par des petits pictogrammes dans la table des matières : féminisme, responsabilité sociale, littérature et écriture, voyages.

Forcément, tout cela est très éclectique (pour ne pas dire inégal). Certains textes sont un peu confus, d’autres plus structurés. Certains sont anecdotiques, d’autres mémorables. Le ton varie beaucoup, ce qui m’a donné l’occasion de découvrir une plume parfois pleine d’humour (dans une veine assez piquante).

On pourrait s’interroger sur la pertinence d’avoir gardé l’ensemble des textes pour la VF (contrairement à la VF du Langage de la nuit qui a exclu notamment les préfaces d’ouvrage). Mais je suis contente qu’il n’y ait pas eu de coupe, cela permet d’avoir un aperçu de l’immense diversité des réflexions d’Ursula K. Le Guin et de leur évolution à travers le temps.

Et ça, c’est un aspect que j’ai toujours aimé dans l’œuvre de cette autrice. Elle réfléchit beaucoup, avec une pensée nourrie par des lectures dans de multiples domaines qui tissent des parallèles parfois étonnants. Mais, point important, elle sait faire évoluer ses idées et ses opinions.

Rien d’anormal pour quelqu’un qui a écrit sur une longue période, mais ce n’est pas toujours perceptible chez d’autres auteurs, et je trouve que c’est quelque chose d’important à mettre en avant : pour moi, une opinion ne doit jamais être figée et doit être réévaluée régulièrement, et c’est quelque chose qu’Ursula K. Le Guin incarne parfaitement.

L’autre point que j’ai apprécié, c’est que bien que ces essais parlent assez peu de ses œuvres littéraires (à quelques rares exceptions), ils viennent éclairer ses fictions. J’ai ainsi été assez étonnée de retrouver une réflexion de ce livre reprise presque telle quelle dans les Chroniques des Rivages de l’Ouest, et je soupçonne que si je poursuivais mes relectures je trouverais bien d’autres parallèles.

Autant dire c’est vraiment un recueil intéressant à découvrir. Un petit conseil néanmoins si vous vous lancez dans cette lecture : n’hésitez pas à sauter les textes qui ne vous parlent pas ou qui vous semblent complètement perchés. Il y a suffisamment de trésors dans ces pages pour pouvoir se permettre d’en sauter quelques-unes.

Comme j’ai appliqué ce conseil à ma propre expérience, je ne vous parlerais donc pas de toutes les textes. Mais histoire de vous mettre l’eau à la bouche, voilà mon petit best-of personnel :

L'Identité de genre est-elle une nécessité ? est un essai fascinant sur la question de genre. Il commente abondamment le roman d'Ursula K. Le Guin qui s'interroge le plus sur la question, à savoir La main gauche de la nuit. Ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est qu'il s'agit d'un essai de 1976, qu'elle a ensuite annoté en 1987. C'est un exercice intéressant, qui permet de voir l'évolution de sa pensée sur le sujet. Je suis assez admirative de cette capacité à se remettre en question et à prendre du recul.

Travailler à L'autre côté du rêve est un ensemble d’anecdotes sur l'adaptation en téléfilm de son roman L'autre côté du rêve. C’est plutôt intéressant à lire et cela donne envie de voir ladite adaptation (celle de 1980, parait-il de très bonne facture et disponible sur YouTube).

La Princesse est écrit comme un conte et parle de l’avortement. On pourrait penser qu’on n’a pas grand-chose à apprendre sur le sujet mais les arguments qu’elle présente sont vraiment percutants (et toujours valides aujourd’hui).

Réciprocité de la prose et de la poésie est un texte assez étonnant qui s'amuse à essayer de trouver la différence entre prose et poésie pour mieux les rapprocher. Ursula K. Le Guin fait même des parallèles avec la traduction sur la fin (coucou Alys !).

À qui le Tour ?
parle de censure et plus particulièrement de celle qui s’applique à l’école sur certains textes. L’autrice a été confrontée à la question pour son roman L’autre côté du rêve, et ses réflexions sur le sujet sont fort intéressantes.

La Science-fiction et l'avenir est un court texte qui étudie le rapport entre science-fiction et avenir… pour finir par parler, étonnamment, du passé. C’est une très jolie réflexion, très en phase avec le fait qu'il faut qu'on arrête de penser la science-fiction comme une littérature du futur.

Un bon auteur est un auteur... offre une réflexion intéressante sur comment écrire à propos d’un auteur vivant. Faut-il lui soumettre ce qu'on écrit ou au contraire ne pas le contacter ? Là encore la question et les réponses proposées sont intéressantes.

Femme / Nature sauvage se résume par son titre : on parle nature et culture, femmes et hommes. C’est une fois encore une lecture enrichissante, surtout lorsqu’on la met en perspective d’autres éléments donnés dans d’autres textes (notamment ses discours de remise des diplômes).

Le Fourre-tout de la fiction, une hypothèse est un texte qui porte bien son titre, avec plein de choses sur les hommes et les femmes, l'histoire et l'Histoire. Et les récipients. Cela pourrait sembler anecdotique mais il y a des réflexions capitales dans cet essai, autant sur la façon dont a été écrit l’Histoire que sur la conception des romans vue par Ursula K. Le Guin.

Texte, silence, représentation est une réflexion sur le rapport entre littérature et oralité. Il part un peu loin parfois mais certains éléments sont très intéressants.

Où trouvez-vous vos idées ? est un essai sur l'écriture qui permet d'avoir un bon aperçu du point de vue d’Ursula K. Le Guin sur le sujet

La Fille de la pêcheuse, qui clôture le recueil, est en quelques sortes sa pièce maîtresse. C’est un peu comme si ce texte, le plus récent de tous, cristallisait et synthétisait avec brio les problématiques des essais précédents. On y parle entre autres de femmes écrivaines, du rapport à la maternité, de la façon dont sont perçues les autrices. C’est bourré de références qui appellent à d'autres lectures (notamment Les quatre filles du docteur March), passionnant et avec un potentiel de réflexion qui s'étend au-delà de son sujet.

Voilà, j’espère que ce petit aperçu vous aura donné envie de vous procurer cet ouvrage pour découvrir ces différents textes. Si cela se trouve, vous découvrirez des merveilles dans ceux que je n’ai pas cités !

Infos utiles : Danser au bord du monde : mots, femmes, territoires (Dancing at the Edge of the World : Thoughts on Words, Women, Places) est un recueil d’essais d’Ursula K. Le Guin paru en VO en 1989. Première publication française en 2020 aux éditions de l’éclat, avec une traduction signée Hélène Collon et une préface de Patricia Farazzi. 285 p.
La couverture est une photographie d’une plage à proximité de Portland (lieu de vie de Ursula K. Le Guin), ce qui n’est pas dénué de sens en regard du dernier texte du recueil. Mais elle a le défaut de rendre le livre assez peu visible, je me rappelle être passée sans le voir au milieu des bouquins de SF en librairie.

D’autres avis : Le Dévorateur, En attendant Nadeau

7 commentaires:

Tigger Lilly a dit…

Comme il a l'air intéressant ce livre, tu donnes très envie.
Et vive le picorage, n'en déplaisent aux esprits chagrins ^^

Baroona a dit…

Quand on croit ne plus pouvoir être encore plus enthousiaste, Ursula Le Guin s'avère en fait être toujours plus fascinante et emplie de qualités. Ça donne vraiment envie alors même que ce n'est pas mon type de lecture favori. Mais que ne ferait-on pas pour profiter de l'intelligence de Le Guin ? ^^

Vert a dit…

@Tigger Lilly
Oui je pense que certains textes te plairaient (notamment La fille de la pêcheuse qui répond bien au bouquin de Virginia Woolf que tu as lu récemment)

@Baroona
Oui ses essais sont vraiment très enrichissants. C'est pas la même approche qu'un roman mais ils apportent aussi beaucoup de choses à leur façon.

Alys a dit…

Mais quel cerveau, cette Ursula!
"Ursula K. Le Guin fait même des parallèles avec la traduction sur la fin (coucou Alys !)" --> Ahah, bien, je tâcherai de m'ensouvenir si je le lis!

Vert a dit…

@Alys
Il faut le lire ^^

shaya a dit…

C'est étrange, j'étais sûre d'avoir déjà commenté ce billet. Bref, cet essai n'est pas pour moi mais je lirais bien volontiers son texte sur le genre pour le coup !

Vert a dit…

@Shaya
Je peux te le prêter si tu veux picorer dedans ^^