J’avais un peu peur de me lancer dans la lecture de cet ouvrage en deux tomes. En effet, je l’avais acheté voilà fort longtemps et je n’avais jamais réussi à le finir (tout juste à le commencer), c’est même surprenant que je n’ai pas retrouvé de marque-page à l’intérieur. En plus, Isil ne m’avait pas dressé un portrait très brillant de la traduction français réalisée par Adam Tolkien, autant dire que je partais avec un sacré apriori.
Morale de l’histoire, vive les aprioris, puisque je n’ai jamais lu aussi vite un Tolkien de ma vie. Enfin plus précisément, je n’ai jamais lu aussi vite 700 pages de Tolkien à l’écriture très archaïque avec des notes un peu partout et des commentaires écrits en tout petit.
Oui parce qu’il vaut mieux poser les bases tout de suite, les Contes Perdus ne sont pas un texte facile loin de là. Il s’agit du premier volume de l’Histoire de la Terre du Milieu, une entreprise très ambitieuse (douze volumes, seuls cinq ont été traduits en français) de Christopher Tolkien visant à donner un aperçu plus complet de l’œuvre de son père et de ses différentes évolutions.
Il explique tout cela très bien dans l’introduction des Contes Perdus. Le Silmarillion n’est qu’un condensé de l’histoire qu’il a assemblé tant bien que mal après la mort de son père, et qu’il a complété par les Contes et légendes inachevés. Mais tout cela reste qu’un aperçu superficiel, à peine la partie émergée de l’iceberg.
D’où l’Histoire de la Terre Milieu, dont les deux premiers tomes forment le Livre des Contes perdus, qui se compose d’un ensemble relativement cohérent de récits qui viendront plus tard former le Silmarillion. Ce sont des très vieux écrits de Tolkien, certains datent de 1916, Autant dire qu’on remonte aux sources. Et que c’est à réserver aux passionnés de Tolkien.
Ces histoires ont été écrites sur différents carnets, mais elles étaient destinées à former un ensemble cohérent, lié par une trame narrative où un homme arrive à la Chaumière du Jeu Perdu et entend narrées maintes et maintes histoires du temps jadis. On retrouve toutes les grandes histoires : création d’Arda, les Valar qui descendent sur Terre, l’éveil des Eldar, leur voyage à Valinor, les complots de Melkor, Beren et Luthien, etc.
La présentation est plutôt bien pensée. Contrairement aux Contes et légendes inachevés qui sont un peu trop bordéliques à mon goût, je ne peux vraiment que saluer le travail éditorial de Christopher Tolkien, qui rend la lecture vraiment intéressante et didactique.
Chaque « histoire » est précédée d’une courte introduction si nécessaire, puis on attaque avec le texte en lui-même quasiment dénué de notes (à part sur les noms ou les différences scénaristiques, mais on peut très bien les ignorer). S’en suit un commentaire généralement très intéressant sur les versions successives, les différences avec le Silmarillion, la mise en perspective dans tout le travail de Tolkien…
J’admets, le début est dur. Le style est extrêmement archaïque, et volontairement traduit quasi-littéralement de l’anglais, ce qui nécessite une phase d’adaptation, en témoigne la première phrase :
« Maintenant il se trouva en un temps qu’un voyageur venu de pays lointains, un homme d’une grande curiosité, fut par le désir de pays étranges et d’us et de demeures de peuples inhabituels mené par bateau tant loin à l’Ouest que l’Ile Solitaire elle-même, Tol Eressëa dans le langage des fées, mais que les gnomes nomment Dor Faidwen, le Pays de la Libération, et un grand conte s’y rapporte »
Je l’ai lu trois fois avant de la comprendre, et toute la première histoire est du même acabit. Je pense que le texte doit être magnifique en anglais, c’est nettement plus dur en français. Ceci dit je préfère qu’ils aient opté pour une approche littérale, je n’ose imaginer le résultat s’ils avaient essayé de rendre ça en vieux français !
En fait, je ne sais pas si je m’y suis habituée, ou si les chapitres suivants sont moins guindés, mais au bout d’un moment j’ai commencé à lire de façon continue, sans prêter attention aucune aux tournures passives et aux « maintenant » toutes les trois lignes.
Et j’ai donc beaucoup apprécié de replonger dans les bonnes vieilles histoires du père Tolkien. Ce sont toujours les mêmes dans les grandes lignes, mais on voit les idées qui se sont perdues en route, et celles qui sont apparues bien plus tard.
Beren est un elfe dans cette version par exemple, ce qui rend le conte moins poignant, même s’il reste très beau. Les Valar sont bien plus proches de Dieux que dans le Silmarillion (où ils ont un caractère plus « angélique »). Ils pratiquent une magie très terre à terre (on a pratiquement les recettes !) et sont beaucoup plus faillibles. Les nains sont maléfiques, et les Noldor (encore appelés Gnomes) y ont un destin bien plus tragique.
Ce qui sera la conclusion du Silmarillion, à peine esquissé ici, est bien moins joyeux comme final. Quant à l’histoire d’Earendil (ma grande frustration, expédiée dans le Silmarillion et jamais terminée dans les Contes et légendes inachevées), ici encore, elle se révèle incomplète, mais les plans laissent à penser qu’elle aurait pu concurrencer le Conte de Tinuviel ou de Turin en terme de taille. On sent que Tolkien a vraiment peiné sur celle-là.
Les noms aussi sont un sacré casse-tête, ils changent même d’un chapitre à l’autre, d’ailleurs il vaut mieux avoir le Silmarillion frais en tête pour ne pas s’égarer. On s’amusera tout de même en passant de découvrir des noms pas vraiment à leur place, lorsqu’on croise un Legolas ou un Gimli (un elfe, lui aussi !) au gré des histoires,
Et puis Tolkien avait toute une idée derrière la tête en écrivant ces Contes Perdus, celle de donner une mythologie à la Grande Bretagne, et c’est là que s’insère l’histoire d’Eriol/ Aeflwine, aspect plutôt intéressant lorsque les lieux imaginés commencent à se fondre avec des lieux réels.
C’est donc un livre très intéressant à lire pour plonger encore plus dans l’univers de Tolkien. Les histoires ont un délicieux parfum d’archaïsme, et le fait d’avoir des histoires dans l’histoire (puisque les contes sont racontés à Eriol au fur et à mesure) rend la lecture un peu plus rythmée (on retrouve parfois des commentaires du conteur en pleine histoire).
Ceci dit je ne le recommanderais qu’aux passionnés, ou aux archéologues qui aiment déterrer et comparer d’anciens objets, et lire des commentaires sur les trente différents versions manuscrites ou dactylographiées...
En tout cas, s’il y a quelque chose qui me frappe au fur et à mesure que j’avance, c’est que l’œuvre de Tolkien va bien au-delà de la Fantasy, bien qu’on le considère souvent comme un des fondateurs du genre. Cette construction d’une histoire mythologique, avec différentes versions (volontaires), c’est vraiment quelque chose de très particulier.
Allez, prochaine étape, les Lais du Beleriand ! Récits en vers, me voilà !
Je pense que je passerai à coté du Livre des contes perdus, mais j'ai beaucoup aimé ton article.
RépondreSupprimerEt il donne envie :D Mais je ne crois pas que je serai capable de lire un tel livre. ^^
Je suis pas très tenté, mais c'est un challenge de lecture! Je vais d'abord terminer ma relecture du Seigneur des Anneaux, puis je réessayerai la lecture du Silmarillion que j'avais abandonné. On verra si l'archaïsme marche après coup. A chaque livre son moment de lecture adéquat.
RépondreSupprimerJe suis un peu comme Olya, ton article me fait peur par la complexité de l'ouvrage, mais en même temps je pense que ça doit être passionnant pour le lecteur averti. Je lirai le Silmarillon quand je serai plus dans une période SdA ^^
RépondreSupprimerBon courage pour la suite !
La première page est terrible en effet !!! Bon il ne sera pas à l'ordre de mes lectures immédiates dans la mesure où on objectif est de lire avant tout Le Seigneur des Anneaux mais ton billet est très intéressant ^^
RépondreSupprimerPardon je voulais dire la première phrase :p
RépondreSupprimerOui c'est un peu paradoxal comme livre, très intéressant mais in-recommandable ! Et encore c'est une promenade de santé comparé aux Lais du Beleriand...
RépondreSupprimerQue voilà un bel article. J'en garde un superbe souvenir même si je partage ton point de vue : pour amateurs de Tolkien uniquement, et ayant déjà une bonne connaissance des écrits de base de l'auteur.
RépondreSupprimerTon billet est splendide, et me donne bien envie de me plonger dans ces contes perdus ... quand j'aurais le temps de m'y consacrer à part entière.
RépondreSupprimerMerci !!
Effectivement, ça demande une bonne maitrise du sujet et de s'y mettre à fond (je ne lis presque rien à côté), mais quand on adore Tolkien, quel bonheur !
RépondreSupprimerD'ailleurs je suis en train de finir les Lais du Beleriand, ils ne sont pas si indigestes que ça...
Personnellement j'adore le livre des comptes perdus, peut-être plus que le Silmarillion dont j'attends avec impatience la nouvelle traduction.
RépondreSupprimerPour tout dire je suis en train de lire les contes perdus à mes deux grands de 9 et 10 ans et ça se passe bien ( je saute les commentaires évidemment et expliquent certains passages ). On avait déjà lus ensembles le Hobbit et le Seigneur des Anneaux et ils voulaient en savoir plus.
@Camille B
SupprimerC'est chouette de faire ça ^^