L’exposition consacrée à Tolkien à la BNF ayant réveillé des envies de (re)lecture en moi, j’ai jeté mon dévolu sur La chute de Gondolin, dernière publication en date consacrée à son immense univers, que j’avais obtenu l’été dernier grâce au challenge S3F4 de Lutin. L’occasion pour moi de replonger dans l’histoire de la Terre du Milieu avec une approche différente de celle à laquelle j’avais été habituée.
Pour comprendre La chute de Gondolin, un peu d’histoire éditoriale est nécessaire. Si vous êtes un fin connaisseur de Tolkien, vous pouvez sauter quelques paragraphes (ou tout lire pour corriger mes inexactitudes, au choix !).
Pour le commun des mortels, J.R.R. Tolkien est avant tout l’auteur du Hobbit et de son ô combien célèbre suite, Le Seigneur des Anneaux. Ce qui est moins connu (et ce qui était d’ailleurs très mal représenté dans le récent biopic qui lui a été consacré), c’est que ces deux œuvres ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg de création littéraire sur lequel il a travaillé de 1916 à sa mort.
En 1977, son fils Christopher Tolkien publia donc Le Silmarillion, sorte de synthèse imparfaite du grand-œuvre de son père qui permettait de découvrir toute l’histoire qui se déroulait avant le Seigneur des Anneaux depuis la création du monde par Eru, avec cette fameuse Quenta Silmarillion qui nous raconte l’éveil des elfes, la création des Silmarils et tous les évènements du 1er âge jusqu’au bannissement de Morgoth.
Cette publication sera suivie par les Contes et légendes inachevés, un assemblage de différents textes venant compléter Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillion. C’est un ensemble intéressant mais pas facile à lire, d’autant plus que la traduction française est dans mon souvenir assez médiocre (elle fait hélas la paire avec celle du Silmarillion, qui heureusement devrait bénéficier prochainement d’une nouvelle traduction)
Enfin, de 1983 à 1995, Christopher Tolkien publia l’Histoire de la Terre du Milieu, une sorte d’intégrale raisonnée en douze volumes de l’œuvre de son père. Seuls cinq volumes ont été traduits en français hélas, mais je ne désespère pas de les lire un jour (quitte à sauter le pas vers la VO)
L’Histoire de la Terre du Milieu est une lecture exigeante que je ne recommanderai pas à tout le monde. En effet ce n’est absolument pas une histoire au sens « je vous raconte une histoire » mais plutôt une histoire de la création littéraire de Tolkien à travers les très nombreux manuscrits plus ou moins achevés qu’il a produit tout au long de sa vie.
Lire l’Histoire de la Terre du Milieu, c’est un peu comme se lancer dans une étude de littérature comparée où on étudierait un même mythe raconté par différents auteurs à des périodes différentes, avec des changements dans les noms, les styles et les intrigues. A ceci près qu’ici on n’a qu’un seul auteur.
C’est un travail exceptionnel de mise en lumière, d’autant plus que Christopher Tolkien s’est attaché tout du long à expliquer, contextualiser et assembler tous ces manuscrits tout en veillant à ne jamais les dénaturer. Ce n’est pas toujours accessible (et mes impressions de lecture sur les cinq premiers tomes le font bien ressentir), mais si on connaît aussi bien Tolkien aujourd’hui, c’est grâce à l’Histoire de la Terre du Milieu.
Après une longue pause, l’œuvre de J.R.R. Tolkien a été de nouveau republiée sous une autre forme à partir de 2007, avec une volonté de se concentrer sur les histoires phares de son univers. La première, Les enfants de Húrin, prenait la forme d’un récit complet très accessible.
À ce premier récit sont venus s’ajoutent Beren et Lúthien en 2016 et La Chute de Gondolin en 2018, deux ouvrages assez similaires dans la construction. J’avais fait l’impasse sur le premier lors de sa sortie, mis l’occasion s’étant présentée pour le deuxième, je n’ai pas pu résister à y jeter un oeil. Nous allons donc enfin pouvoir entrer dans le vif du sujet !
La Chute de Gondolin est un des récits phares du Silmarillion : on y suit les pas de Tuor, envoyé par le Valar Ulmo à Gondolin pour prévenir la chute de la cité cachée, dernier bastion des elfes à résister à Morgoth. Arrivé à Gondolin, Tuor n’est guère entendu, mais il reste dans la cité, épouse Idril, la fille du roi, avec qui il a un fils, Eärendil (oui le fameux Eärendil tant loué dans les chansons des elfes).
Morgoth finit par apprendre la localisation de Gondolin et envoie ses armées. Les habitants résistent mais ne peuvent faire face, et Tuor finit par s’enfuir avec une poignée de survivants à travers les montagnes. Une fois adulte, son fils Eärendil va connaître de nombreuses aventures et finira par atteindre Valinor où il plaidera la cause des elfes auprès des Valar.
Avant cela il aura épousé Elwing, petite fille de Beren et Lúthien. Ils auront deux enfants, Elrond (qu’on ne présente pas) et Elros, dont descend la lignée des rois de Númenor… lignée dont est issu Aragorn quelques nombreuses générations plus tard. Ça va, vous vous situez ?
La Chute de Gondolin est un récit capital, et d’autant plus frustrant qu’il n’existe aucune version complète à l’exception de celle, très archaïque, des Contes perdus. Il aurait été impossible de recréer un récit unique à partir des différents manuscrits, aussi, Christopher Tolkien présente dans ce livre les différentes versions du récit (extraites des Contes et légendes inachevés et de l’Histoire de la Terre du Milieu) avec un commentaire sur l’évolution de l’histoire.
L’approche est très différente de l’Histoire de la Terre du Milieu. La Chute de Gondolin laisse parler le récit par lui-même sans trop encombrer le lecteur avec tout un appareil de notes et de commentaires et permet de jouer plus facilement au jeu des comparaisons.
Cela n’a pas forcément beaucoup d’intérêt pour les gens comme moi qui ont déjà lu les différents textes à la source, mais c’est un format intéressant pour un lectorat qui n’aura pas forcément envie de se lancer dans l’Histoire de la Terre du Milieu mais qui a assez de curiosité pour découvrir les écrits de Tolkien dans des formes moins abouties.
Ma dernière lecture de l’Histoire de la Terre du Milieu remontant déjà à quelques années, j’ai d’ailleurs eu grand plaisir à replonger dans la prose de Tokien et dans son univers immense et extrêmement mouvant.
En relisant la version extraite des Contes perdus (ô combien archaïsante), je me suis surprise à faire des rapprochements avec des textes de fantasy anglaises du début du XXe siècle pour certains aspects qui sonnent très « féérie ». Les autres versions sont beaucoup plus typiques de ce qu’on attend de Tolkien, mais il est cependant amusant de le voir recycler certaines idées et de se perdre peu à peu dans une forme de démesure sans fin.
Le dernier récit, pourtant fort long, s’arrête en effet quand Tuor arrive à Gondolin (oui c'est la couverture du livre), autant dire presque au début de l’histoire. On ne peut donc que terminer cette lecture avec une pointe de regret à ce que cela aurait pu être. Mais c’est peut-être aussi ce qui donne sa saveur particulière à la Terre du Milieu. À l’image de certains textes anciens dont on n’a que des versions incomplètes ou des réécritures tardives donc discutables, l’histoire de la Terre du Milieu ressemble vraiment dans sa forme à un récit ancien qui nous serait parvenu du fond des temps.
Cette lecture de La chute de Gondolin ne m’aura pas apporté grand-chose sur le plan de la découverte, mais je dois dire qu’elle s’est teinte d’une certaine émotion par le hasard des évènements.
Lorsque j’ai commencé à lire cet ouvrage début janvier, après une troisième visite à l’exposition Tolkien, j’ai été très touchée par l’introduction de Christopher Tolkien qui expliquait qu’il s’agirait de son dernier ouvrage. J’avais songé à parler de son travail admirable dans cette chronique, et alors que je cherchais mes mots et mes idées pour rédiger cette chronique il s’en est allé vers l’Ouest rejoindre les Terres immortelles. C’est alors devenu une nécessité.
En tant que lectrice, je garde des souvenirs assez mitigés de mes premières incursions dans les Contes et légendes inachevées et dans l’Histoire de la Terre du Milieu, et je n’ai pas toujours compris pourquoi Christopher Tolkien avait opté pour ce format pas toujours facile d’accès (je râle d’ailleurs beaucoup sur ses interminables notes dans nombre de mes chroniques).
Mais les années passant, et sans doute sous la bonne influence du milieu universitaire où je travaille (il faut bien que cela serve à quelque chose de temps en temps), j’ai pris conscience de l’incroyable travail qu’il a réalisé.
Il aurait été facile de prendre les notes et manuscrits inachevés de J.R.R. Tolkien pour les réécrire en vue d’une publication. Il aurait été facile de développer le Silmarillion en de nombreux volumes, d’imaginer des éléments pour remplir les blancs, de gommer les incohérences et de faire tendre l’ensemble vers un cycle de fantasy en 28 volumes qui se serait écoulé à des millions d’exemplaire.
Ce n’est pas le choix qu’a fait Christopher Tolkien. À la place, lui qui a été le premier lecteur et le premier critique des écrits de son père s’est attaché à mettre de l’ordre dans les manuscrits et à les publier avec une méticulosité qui force le respect (allant jusqu’à indiquer les modifications faites entre les inscriptions au crayon papier et le manuscrit final à l’encre), avec une volonté d’expliquer, de contextualiser, mais toujours en préservant l’écrit d’origine.
Je ne pense pas me tromper en disant que si aujourd’hui on a des ouvrages d’étude, des colloques et des expositions consacrées à Tolkien, c’est grâce à Christopher Tolkien qui a permis de découvrir l’œuvre de son père. En fait, s’il n’avait pas consacré presque la moitié de sa vie à cette tâche, on aurait un aperçu fort incomplet du « legendarium » de son père.
En apprenant son décès l’autre soir, je me suis dit que c’était un peu comme si J.R.R. Tolkien était vraiment mort cette fois-ci. Mais le travail conjugué du père et du fils aura permis la constitution d’une sacrée bibliographie que je compte bien continuer à explorer au fil des ans… Vous n’avez sans doute pas fini d’entendre parler de Tolkien par ici !
En attendant, si cette chronique ne vous pas aidé à vous décider, je signale en passant que cette édition de La chute de Gondolin est illustrée comme il se doit par Alan Lee. L’ayant lu en numérique, je ne me prononcerais pas sur les illustrations (même si elles avaient l’air sublime dans un format qui n’est pas fait pour cela) mais cela peut faire pencher la balance si vous l’achetez au format papier.
Infos utiles : La chute de Gondolin (The Fall of Gondolin) est un ouvrage de J.R.R. Tolkien édité et préfacé par Christopher Tolkien. La traduction des différents textes a été réalisé par Daniel Lauzon, Tina Jolas et Adam Tolkien. Illustrations de Alan Lee. Paru en 2019 chez Christian Bourgois, 227 pages.
D’autres avis : Les critiques de Bifrost, Les lectures de Xapur, Tolkiendil (et n’oubliez pas de visiter le reste du site qui est une mine d’or sur Tolkien et son œuvre, cela m’a bien servi pour vérifier les dates de publication de cet article notamment), Yossarian
ah!une lecture mitigée alors.
RépondreSupprimerJ'aurais penser que cela te plairait bien davantage.
@Lutin82
SupprimerOh ça m'a fait plaisir de relire les textes mais je savais que ce serait sûrement plus une relecture qu'autre chose. Dis toi que tu m'as évité d'avoir à m'interroger trop longtemps sur la nécessité ou non de se procurer cet ouvrage au moins ^^
"Ça va, vous vous situez ?"
RépondreSupprimerEuh oui... enfin euh... y'a pas d'interrogation à la fin hein ?
Je ne le lirai jamais - "Le Silmarillion" m'a suffi - mais merci pour cette masterclass. ^^
@Baroona
SupprimerPardon je me suis un peu emballée xD
Ah ok, donc tu nous fait l'histoire de L'Histoire de la Terre du Milieu ? :D
RépondreSupprimerTu as bien raison de rendre hommage à Christopher Tolkien, l'approche de l'oeuvre de J.R.R. Tolkien n'est plus la même grâce à lui, et la portée de ses écrits lui doit beaucoup.
Immense respect pour son approche respectueuses, justement, de l'oeuvre de son père.
@Lorhkan
SupprimerOui ce n'est pas toujours une approche facile pour le lecteur mais elle a du sens.
Quel billet ! J'aimerais bien à me remettre aux lectures parallèles (entendons-nous : hors Hobbit, SdA et Silmarillon) mais bon c'est toujours la même rengaine. Surtout que en plus faudrait que je relise le SdA nouvelle trad. En attendant, ce we j'attaque le catalogue de l'expo.
RépondreSupprimer@Tigger Lilly
SupprimerC'est déjà un bon début, je le garde à côté de mon lit depuis novembre sans me décider à le lire xD
Cœur immense!! <3
RépondreSupprimer@Alys
Supprimer<3 <3
Tu fais bien de souligner le travail de son fils sans qui l'oeuvre de Tolkien ne serait pas aussi connue.
RépondreSupprimer@Xapur
SupprimerOh que oui !
Très bel article ! Merci pour ce descriptif très complet, il faudra que je parcours également tes articles sur les autres textes à l'occasion.
RépondreSupprimerJe crois que je n'aurais malheureusement jamais le courage de m'attaquer à ces textes, réputés difficiles... tu as raison de saluer le travail de Christopher Tolkien, dont l'approche est peut être fastidieuse pour le lecteur mais tellement respectueuse de l'oeuvre de son père. J'aime bien l'idée qu'il faut aborder ces textes tels qu'ils sont, comme s'ils étaient vraiment ce qu'il nous restait d'un temps révolu extrêmement lointain...
(P.S. je te signale juste une faute de frappe qui pique un peu, dans le 2ème paragraphe ;-) tu as écrit "Si vous est un fin connaisseur de Tolkien, ...")
@Ksidra
SupprimerLire le Silmarillion ça permet déjà d'avoir un bel aperçu, faut vraiment être mordu pour explorer plus avant ^^. Et merci pour la faute, c'est corrigé !
C'est brillant et passionnant.
RépondreSupprimerJe m'y suis un peu mieux retrouvée grâce à tes explications et c'est pas gagné car vraiment, j'ai très peu lu Tolkien.
Merci!
(oh et puis bel hommage, touchant)
@Itenarasa
SupprimerJe t'en prie, ravie d'avoir été utile ^^