Si la plupart des romans d’Ursula K. Le Guin sont faciles à se procurer en français, il n’en est pas forcément de même pour ses nouvelles dispatchées dans de multiples ouvrages parfois difficiles à dénicher. Heureusement quelques éditeurs se sont penchés sur la question. Ainsi, après ActuSF qui a récemment réédité trois de ses textes dans L’effet Churten, Le Bélial’ a mis à son tour la main à la pâte en proposant cette année une version enfin complète du tout premier recueil de nouvelles de l’autrice.
Paru en 1975 en VO, The Wind’s Twelve Quarters n’était jusque-là arrivé jusqu’à nous que sous une forme tronquée dans Le livre d’or de la science-fiction consacré à Ursula K. Le Guin. Si les textes non retenus dans le Livre d’or avaient tous été traduits, il fallait courir d’anthologie en revue pour pouvoir en faire le tour. Autant dire qu’il est chouette de pouvoir enfin l’ensemble des textes dans un même ouvrage avec les commentaires de l’autrice.
Aux douze vents du monde nous propose donc de découvrir dix-sept nouvelles publiées entre 1962 et 1974. Les thématiques abordées sont variées, parfois très SF (voyage spatial et dans le temps, clonage, rencontre avec l’Autre), parfois moins (certains récits lorgnent même franchement du côté du conte). Le tout est abordée avec la belle plume tranquille typique d’Ursula K. Le Guin, et comme toujours avec elle, avec une très grande humanité.
Pour ma part je pensais un peu m’ennuyer en lisant ce recueil vu que j’avais déjà lu la plupart des textes ici et là. Pourtant dès la première nouvelle, le charme a opéré, et je me suis même surprise à mieux apprécier certaines nouvelles que lors de leur première lecture. Est-ce l’effet de la traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti ou une question de maturité littéraire, allez savoir, mais en tout cas, c’est une lecture que j’ai savouré.
Et que trouve-t-on dans ce recueil, dans le détail ?
Tout d’abord un certain nombre de récits qui se rattachent à ses deux grands cycles, Hain (ou l’Ekumen) et Terremer. Nul besoin de connaître les univers en question (à part peut-être pour une nouvelle) même si cela apporte quelques éléments de compréhension.
Côté Terremer, les deux nouvelles, Le Mot de déliement et La Règle des noms relèvent plus de la préfiguration qu’autre chose. Ce sont des textes intéressants à découvrir comme des esquisses inabouties de grandes choses à venir. J’avoue avoir un faible pour le deuxième texte qui avec son « Monsieur Taupin » m’a immédiatement fait pensé à certains textes de Tolkien.
Du côté de l’Ekumen/Hain, bien plus de choses à dire et des textes très différents.
D’abord Le Collier de Semlé, qui ouvre le recueil. Cette nouvelle est depuis devenu le prologue du roman Le monde de Rocannon, mais on peut toujours lire de façon complètement indépendante. C’est un texte super joli qui montre qu’on peut écrire un conte dans un univers de fantasy avec un argument de SF et obtenir un superbe résultat.
Ensuite il y a Le Roi de Nivôse, peut être une assez confus pour qui n’a pas lu La main gauche de la nuit, notamment pour son utilisation particulière du masculin et du féminin. Pour moi, ça a été une chouette occasion de revenir sur ce monde et de plonger dans ses manigances politiques assez particulières.
Plus vaste qu'un empire se rattache également de façon assez lointaine à l’Ekumen, mais je retiens ce texte surtout pour cette façon originale d’aborder le contact avec une nouvelle espèce. Encore une fois c’est un texte que j’avais assez peu apprécié lors de ma première lecture. En la relisant je l'ai trouvée plus compréhensible et fort intéressante sur ce qu'elle dit des relations humaines (et inter espèces d'ailleurs).
Enfin il y a À la veille de la révolution, qui clôture le recueil, un joli texte lié au roman Les Dépossédés sans qu’il soit nécessaire d’avoir lu le livre pour apprécier cette nouvelle-ci. L’histoire qui se penche sur le destin des héros révolutionnaires qui vieillissent une fois leur mission accomplie est très touchante.
Les autres nouvelles sont quant à elles complètement indépendantes, bien qu’elles partagent parfois des thématiques.
Les Maîtres et Étoile des profondeurs étudient toutes les deux les questions de l’obscurantisme, de l’Inquisition et du procès de Galilée. J’aime beaucoup ce que ces textes disent sur la connaissance et le savoir, mais aussi sur l’amitié. La première m’a touchée dans ce qu’elle dit de la frustration à vivre dans un monde où la connaissance est tronquée. La deuxième m’a plus frappée par l’étrangeté du destin du personnage.
Avril à Paris nous emmène dans un voyage dans le temps assez intimiste qui parle de rencontres improbables et de la joie de partager des connaissances. C’est simple mais touchant, j’aime beaucoup comme Ursula Le Guin parle de ces relations amicales qui ne font pas dans les grandes démonstrations, juste dans le plaisir partagé.
D’ailleurs on retrouve un peu la même idée dans la nouvelle Neuf existences. L’idée de base est d’imaginer un être humain supérieur qui se présente sous la forme d’une cohorte de clones. Assez étonnamment, je trouve que la nouvelle laisse assez vite la question de côté pour étudier les relations humaines entre les deux autres personnages et les clones.
Trois nouvelles ressemblent à des contes, ou à des psychomythes (comme les qualifie l’autrice elle-même pour deux d’entre eux). La Boîte d'ombre ressemble à un conte sur le temps et la mort, avec sa sorcière, son prince et son ambiance étrange. Les choses est un peu étrange également, avec son ambiance de fin du monde.
Ce sont des textes qu’il faut parfois apprivoiser, d’ailleurs pour La Boîte d’ombre il m’a fallu deux lectures pour y arriver. C’est la même chose pour Ceux qui partent d’Omelas, très beau texte dont j’ai déjà croisé trois fois la route (la deuxième lecture ayant été bien meilleure que la première) et qui fait partie des petits joyaux écrits par Ursula K. Le Guin.dd
Le Chêne et la mort demande lui aussi un temps d’adaptation en nous projetant dans l’écorce (et la temporalité) d’un arbre, mais c’est une sacrée réussite et c’est très joliment pensé. Je n’ai par contre jamais réussi à entrer dans les très étranges Voyage et La Forêt de l’oubli, donc je passe mon tour pour en parler.
Quant à la nouvelle Le Champ de vision, qui nous parle d’une expédition sur Mars qui tourne mal suite à la découverte d’un site qui prouverait l’existence d’une intelligence supérieure, n’importe qui vous proposerait un mauvais film d’horreur (*tousse* Prometheus *tousse*), sauf Ursula Le Guin qui propose un récit intéressant, posé et un peu glaçant sur la fin tout de même.
Voilà pour ce petit tour dans les écrits d’Ursula K. Le Guin. Comme tout recueil de nouvelles, Aux douze vents du monde est plus ou moins convaincant selon les textes. Cependant à l’exception d’une ou deux bizarreries, on est plutôt sur du très bon, pourvu qu’on aime l’écriture tranquille de l’autrice et sa SF qui porte toujours une attention particulière à l’humain.
Cela fait plaisir de pouvoir enfin bénéficier en français d’une édition digne de ce nom de ce recueil (belle couverture d’Aurélien Police en passant), et la bibliographie complète qu’on trouve en fin d’ouvrage permet de rêver à d’éventuelles rééditions ou traductions inédites d'autres textes de cette grande dame de la science-fiction.
Je n'avais pas trop de doute sur le fait d'être tenté, mais il me fait d'autant plus envie qu'il y a du Terremer, de l'Ekumen et de l'indépendant.
RépondreSupprimer@Baroona
SupprimerTout est bon dans Ursula Le Guin :)
Chouette papier, merci. Je m'en veux donc de te signaler une perle. Ranger "Ceux qui..." au rang des petits joyEux de Dame Ursula, c'est curieux, non ? ;)
RépondreSupprimer@Pierre-Paul Durastanti
SupprimerMerci, elle était belle celle-là ! :D
Comme toujours, je me dis que je dois lire Le Guin :)
RépondreSupprimer@Alys
SupprimerIl faut !
POUR moiiiiiiiii!!!
RépondreSupprimer@lutin82
SupprimerOuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii :D
Ca y est! Je l'ai!!!!
Supprimer@lutin82
SupprimerCool, hâte que tu le lises du coup ^^
J avoue être assez tentée par ce recueil qui ouvre les différents univers de U Le Guin !
RépondreSupprimer@Roz
SupprimerCa peut-être une bonne porte d'entrée ^^
Must read.
RépondreSupprimer@Tigger Lilly
SupprimerOf course
Vendu
RépondreSupprimer@Le chien critique
SupprimerJ'attends de te voir te jeter dessus alors ^^
Je n'ai lu qu'un roman de Le Guin, La Main Gauche de la nuit, que j'avais trouvé sympathique mais manquant d'un petit quelque chose pour vraiment accrocher. Il faudrait que j'approfondisse un peu l'oeuvre de cette auteure.
RépondreSupprimer@La Labyrinthèque
SupprimerCa peut-être un bon moyen, en plus je la trouve plus accessible en nouvelles que sur certains romans.
Je n'avais pas fait attention à cette récente publication en français. Vu ce que tu en dis, je me la procurerai probablement !
RépondreSupprimer@Miroirs SF
SupprimerExcellente idée !
Ca fait toujours plaisir quand on peut retrouver les nouvelles d'un auteur qu'on aime beaucoup. C'est vrai que c'est toujours plus compliqué en traduction parce que je pense que ça marche moins. En tout cas je ne connaissais pas du tout
RépondreSupprimer@Melliane
SupprimerC'est moins vendeur qu'un roman c'est sûr, mais c'est tellement bien les nouvelles pourtant ! A découvrir si tu croises sa route ^^
Même si j'ai déjà lu son Livre d'Or, je crois que je ne vais pas manquer ce recueil enfin intégral. ;)
RépondreSupprimer@Lorhkan
SupprimerC'est quand même meilleur sous une belle couverture :D
(quoique celle de son livre d'or aussi affreuse soit-elle avait le mérite d'avoir un semblant de cohérence...)