La cité des saints et des fous partage avec La voix du feu, que j’ai lu récemment, de très nombreux points communs : ce sont tous les deux des ouvrages atypiques, publiés dans la même collection (Interstices), avec les mêmes couvertures étranges (mais ô combien attirantes) de Néjib Belhadj Kacem.
Je les ai achetés à peu près à la même époque (voire en même temps, je ne me souviens plus exactement), je les ai tous les deux commencés et abandonnés en route pendant de longues années, avant de prendre mon courage à deux mains cet été. Heureusement, c’est là que le jeu des ressemblances s’arrête : contrairement à son collègue, La cité des saints et des fous ne m’a posé aucun problème, et a même été un grand bonheur de lecture.
Pourtant sur le papier ce n’était pas gagné, car je ne vous cache pas que La cité des saints et des fous est un livre spécial, qui ne parlera pas à tout le monde. C’est en effet avant tout un livre-univers sur la cité imaginaire d’Ambregris, composé de textes très variés allant du conte horrifique (qui peut évoquer autant Lovecraft que le fantastique du XIXe siècle) au guide historique en passant par le message codé et l’opuscule scientifique.
Difficile de vous en dire plus, déjà parce que la cité en elle-même est difficile à qualifier (mais attendez-vous à entendre parler régulièrement de calmars et de champignons), mais aussi parce que la curiosité et le plaisir de la découverte jouent à mon avis grandement dans le plaisir qu’on a à lire cet ouvrage.
La cité des saints et des fous est loin d’être le premier livre-univers que je lis, mais les derniers que j’ai eu entre les mains m’ont souvent soit donné du fil à retordre, soit ennuyé. Du coup j’avais quelques appréhensions face à l’œuvre de Jeff VanderMeer, très vite oubliées heureusement pendant ma lecture.
Cela est dû d’abord à l’extraordinaire écriture de ce livre, et à son extraordinaire traduction (un grand bravo à Gilles Goullet). Je pourrais vous en écrire des kilomètres sur le sujet, mais histoire de ne pas vous perdre en route j’ai préféré vous faire une liste (une méthode un peu atypique, pour un livre atypique) de tout ce que j’ai aimé :
- Le style faussement XIXème, qui aide énormément à se projeter mais qui réussit à ne jamais être lourd ;
- L’alternance des types de récits : essais, nouvelles, correspondance… ce qui évite la monotonie ;
- Les nombreux petits détails qui font le lien entre des histoires à priori indépendantes, et qui donnent de la cohérence à l’ensemble ;
- Le flou perpétuel entre réalité et fiction (jusque dans la biographie de Jeff VanderMeer à la fin)
- L’humour qui domine l’ensemble des textes, souvent noir et grinçant, mais ô combien délicieux, notamment…
- …dans les nombreuses notes de bas de page qui émaillent certains textes, où les auteurs règlent leurs comptes avec leurs collègues (hilarant) ;
- Et puis il y a des surprises ici et là, où comment une bibliographie en apparence fort barbante peut cacher des choses.
Du coup, il est difficile de ne pas succomber aux charmes d’Ambregris, cité pleine de mystères, de violence et de folie (douce ou furieuse) (sans oublier les fameux Chapeaux gris). D’autant plus que le livre ne donne pas que l’occasion de lire la ville, mais aussi de la voir.
La cité des saints et des fous est en effet un authentique livre illustré (ce qui explique son poids, probablement son plus gros défaut !). N'attendez pas de grandes illustrations en couleur, mais les gravures et simili-photographies sont sympathiques, et tous les jeux sur la typographie et la mise en page pour différencier les récits, aident à se mettre dans l’ambiance et à mieux "percevoir" Ambregris.
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Tout cela contribue à faire de La cité des saints et des fous un vrai bonheur à découvrir, une lecture originale et délicieuse, aussi aboutie dans son fond que dans sa forme, qui associe merveilleusement humour, horreur et guide touristique !
C’est un bonheur qui certes demande le bon état d’esprit pour l’aborder, et qui nécessitera de prendre son temps pour savourer les textes (quoique je me suis surprise à y revenir plus que de raison), mais en tout cas c’est une lecture très originale que je vous invite à tenter.
Et c’est aussi un authentique fix-up –certaines nouvelles ont déjà été publiées ailleurs- et avec sa pagination multiple il dépasse pas les 350 pages bien que ce soit un beau pavé, ce qui fait deux challenges pour le prix d’un !