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vendredi 31 mai 2019

Kabu Kabu – Nnedi Okorafor


Certains livres ont des histoires compliquées, qui peuvent liées à leur vie éditoriale ou aux évènements qui ont accompagné leur achat et leur lecture. Kabu Kabu est concerné par les deux cas de figure, et en plus d’être compliquée, son histoire est malheureuse. N’ayant pas envie que cela finisse par me dégoûter de sa lecture, je me suis donc forcée à le sortir de ma PàL rapidement, avant qu’il ne finisse par la hanter tel un fantôme.

Et un fantôme, c’est peut-être bien ce qu’est ce livre. Ce recueil de nouvelles de Nnedi Okorafor, Kabu Kabu a été traduit et édité en français par les éditions de l’Instant l’année dernière grâce à un crowdfunding. Je ne reviendrais pas en détail sur cette histoire, j’ai fini par recevoir mon exemplaire, c’est l’essentiel. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde. L’éditeur ayant mis la clé sous la porte en ce début d’année, c’est un peu comme si ce livre jamais distribué par un circuit classique n’existait pas, tant peu d’exemplaires semblent avoir circulé. Et c’est dommage.

Il est également dommage (quitte à évacuer les mauvaises choses, je poursuis) que Kabu Kabu semble aussi peu abouti : la traduction m’a semblé un peu légère, les nouvelles ne sont pas présentées dans l’ordre du recueil VO sans aucune raison (je me demande si ça n’en dessert pas certaines d’ailleurs) et le livre dégage une impression générale d’ouvrage bouclé à la va-vite.

Tout cela ne rend pas vraiment service à Nnedi Okorafor, alors que c’est une autrice qui vaut la peine d’être découverte. D’autant plus que son recueil de nouvelles est fort intéressant, une fois fait abstraction des problèmes évoqués plus hauts.

Kabu Kabu se compose donc de vingt-deux nouvelles. L’article risque d’être un peu long (et peut-être un peu répétitif), je vais tenter de faire des regroupements.

Pour commencer, ne jugez pas le recueil à l’aune de la première nouvelle, Le nègre magique. Si son propos est intéressant (sur la place du personnage noir dans la fiction), le ton est vraiment étrange et assez éloigné du reste du recueil.

Kabu Kabu, la deuxième nouvelle est un bien meilleur point d’entrée. On y suit une jeune femme qui cherche à rejoindre l’aéroport pour arriver à temps au mariage de sa sœur au Nigéria, et qui se retrouve à bord d’un taxi fort étrange. On n’est pas loin de Neil Gaiman dans cette manière de faire rentrer des figures du folklore nigérian dans un taxi américain. C’est un texte plutôt léger par rapport au reste du livre.

Si vous voulez vraiment vous mettre dans le bain et que vous avez déjà lu Qui a peur de la mort ?, jetez plutôt un œil à La tache noire, un conte très dur qui vient apporter du contexte au roman (et si vous ne l’avez pas lu, cela vous donnera peut-être envie de le lire). C’est plaisant de retrouver cet univers qui réussit à relever à la fois de la fantasy et du post-apo, bien que l’histoire soit tout sauf joyeuse.

Viennent ensuite cinq nouvelles (Tumaki, Comment Inyang obtint ses ailes, Les vents de l'harmattan, Les coureurs de vent et Biafra), qui partagent tous le même univers, celui des coureurs de vents, des méta-humains capables entre autres de voler, et qui sont bien évidemment mis au ban de la société voire tués du fait de leurs talents. Les cinq nouvelles sont regroupées ensemble dans la version française, ce qui leur donne un caractère un peu répétitif, c’est bien dommage.

La plupart de ces nouvelles parlent avec justesse de la place de la femme dans la société nigériane. Tumaki est notamment intéressante pour son propos sur le voile. Pour ma part j’ai surtout aimé Les vents de l’harmattan, bien que cette histoire m’ait brisé le cœur.

Les trois nouvelles suivantes (La maison des difformités, Le tapis et Sur la route) ont pour point commun de mettre en scène des adolescentes ou des femmes qui viennent visiter leur famille au Nigéria, et qui se retrouvent confrontés à des éléments fantastiques. Des trois, j’ai préféré Le tapis, un texte plein de surprises.

Passons rapidement sur Icône (récit teinté de fantastique d’un journaliste américain avec un narrateur désagréable) et Popular mechanic (très sympathique pour sa relation père-fille et intéressant lorsqu’il dénonce le fait d’utiliser l’Afrique comme sujet test sacrifiable)

Je préfère plutôt vous parler du très beau (et très triste) texte qu’est L’artiste araignée, qui met en scène une femme qui cherche à maintenir la paix dans sa maison malgré un mari violent, une guitare et un robot. C’est une étrange et belle rencontre comme seule la SF sait en inventer.

Je ne vous parlerai pas trop de Bakasi (un combat politique où s’invite les superstitions) et du Bandit des palmiers (un étrange conte sur l’émancipation… et le vin de palme), qui ne m’ont pas trop parlé.

J’ai par contre beaucoup aimé Séparés, un très joli conte sur l’amour où l’on finit par réaliser qu’on ne peut pas tout partager avec sa moitié. Et je dois dire que j’ai bien apprécié L'affreux oiseau, une nouvelle assez légère et même plutôt cocasse sur un ornithologue.

Après des textes parfois durs, le recueil enchaîne sur des histoires à tonalité plutôt jeunesse (enfin…), où l’on découvre que prendre un raccourci pour aller à l’école (La guerre des babouins) ou chez sa tante (L’homme au long juju) amène parfois à d’étranges et étonnantes aventures.

Pour terminer, Zula, de la cour de récré de quatrième et La fille qui court offrent deux récits assez poignants sur l'enfance dont on sent pointer le caractère autobiographique. Nnedi Okorafor y parle de racisme et de discrimination aux Etats-Unis, et deux façons d'affronter ces questions.

Voilà pour ce petit tour de Kabu Kabu. Comme dans tout recueil qui se respecte, il y a du très bon, du bon et du moins bon. Il y a des textes qui nous touche personnellement et d’autres qu’on ne comprend pas.

Pour ma part, une fois oubliée l’histoire du crowdfunding, j’ai bien apprécié ma lecture. Même si tous les textes ne m’ont pas forcément parlé, j’ai trouvé qu’ils étaient tous très intéressants car ils nous sortent de notre zone de confort et nous permettent de regarder le monde avec des yeux de personnes (les femmes, les noirs, les Africains) qui sont trop souvent vues comme des citoyens de deuxième voire de troisième zone.

Je regrette par contre le recueil n’apporte aucune information sur le contexte d’écriture et de publication des nouvelles. Sans forcément aller jusqu’à tomber dans la longue introduction façon Neil Gaiman (même si j’adore cela), il est toujours intéressant d’avoir au moins la date et le contexte de publication. J’espère que ce n’est pas encore un élément qui a disparu de la VF…

A l’heure actuelle, si vous avez envie de lire Kabu Kabu, je pense qu’il vous faudra vous tourner vers la VO. En attendant, on peut toujours espérer qu’un jour un éditeur se chargera de rééditer ce recueil. L’aventure de Nnedi Okorafor en VF n’est heureusement pas terminée. Après avoir réédité Qui a peur de la mort ?, ActuSF a prévu de traduire Binti, une novella de SF jeunesse.

Infos utiles : Kabu Kabu est un recueil de nouvelles de Nnedi Okorafor paru en 2013 en VO. La version française a été traduite par Patrick Dechesne et publiée aux Éditions de l’Instant sous une couverture de Katarzyna Wimanska (354 p.).

Autres avis : Au Pays des Cave Trolls, Blog-O-Livre, Just a Word, Les lectures de Mariejuliet

11 commentaires:

  1. Clairement je vais passer mon tour pour le moment, d'autant "Qui a peur de la mort ?" traîne dans ma PAL !

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    1. @Shaya
      Autant lire "Qui a peur de la mort" en effet ^^

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  2. Intéressant tout ça. Qui sait, je trouverai peut-être la VO d'occasion un jour...

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    1. @Alys
      Ca sera plus facile que la VF c'est sûr ^^

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  3. 22 nouvelles, c'est costaud, ça rend quasiment impossible le sans-faute. Elles sont de tailles équilibrées ?
    Dans 5/10 ans, quand ActuSF le rééditera (ou l'éditera d'ailleurs, on pourra peut-être considérer que la version actuelle n'existe pas ^^), pourquoi pas. ^^

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    1. @Baroona
      Y'a du très court et du moins court mais on reste en dessous de la novella dans tous les cas.

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  4. Ce recueil ne me tente pas trop en l'état, comme toi, j'aime bien des petites annexes explicatives, mais cela demande un certain travail éditorial...
    Mais je pense me pencher sur Qui a peur de la mort, qui m'avait donné envie lors de l'écoute de son entretien dans La méthode scientifique. (si des gens sont intéressés, c'est par ici : https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-du-vendredi-01-juin-2018)

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    1. @Le chien critique
      Merci pour ton lien, j'essayerai de l'écouter.

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  5. "Tout cela ne rend pas vraiment service à Nnedi Okorafor, alors que c’est une autrice qui vaut la peine d’être découverte. "
    Oui, trois fois oui, c'est ce qui me désole plus aussi dans cette histoire.
    Misons sur ActuSF pour la réédition, on va faire du lobby, saouler Jérôme Vincent au bon vin, tous les moyens sont bons :p

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  6. Faut que je le sorte de la PAL celui-là.

    (si vous voulez soudoyer Jérôme, préférez le rhum au vin. Ou un bon café, ça marche aussi, mais l'effet n'est pas tout à fait le même ;) )

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    1. @Tigger Lilly & Lhisbei
      Il me semblait bien avoir noté que le rhum ça marchait mieux :P

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