J'ai déniché ce livre d'or chez un bouquiniste de la vieille bourse à Lille. J'avais hésité entre ce titre-ci et celui sur la SF allemande, et comme j'avais mon beau-frère italien sous le nez, j'ai choisi celui-là, histoire que pour une fois je m'initie à la littérature italienne au lieu de toujours lui montrer des films français tordus. Bien évidemment, il a végété un moment jusqu'à que
Alys manifeste son intérêt pour ce livre. Du coup cet article-fleuve est entièrement de sa faute !
D'habitude avec les livres d'or, j'essaye de faire abstraction, mais là il fallait que ça sorte : mais c'est quoi cette couverture ?!? Non mais sérieusement, déjà Venise sur un fond vert crasseux, c'est pas top (mais on peut encore trouver ça vaguement cohérent avec le contenu), mais le coup de la femme à poil au premier plan dans une pose que je ne commenterais pas avec deux chevaux derrière... heureusement que je n'ai plus peur de mourir de honte en sortant ce livre dans les transports en commun !
Heureusement, le contenu est nettement moins toxique. Déjà l'introduction de Jean-Pierre Fontana est très intéressante à lire pour faire connaissance avec la « fantascienza » italienne (j'ignore si le terme est encore utilisé mais je le trouve très joli). L'historique frôle assez souvent l'inventaire à la Prévert des 180 revues de SF qui n'ont connu que deux numéros, mais on s'en amuse presque, ainsi que du fait que les auteurs aient longtemps tous écrit sous pseudonyme anglophone (voire composé uniquement de lettres de l'alphabet grec).
Évidemment ce livre d'or ayant 30 ans, j'imagine qu'il faudrait une sacrée mise à jour pour vraiment refléter ce qu'est la SF italienne, et il manque sans doute un vrai contenu critique, mais il a le mérite d'exister ! Et de présenter un joli panaché de textes dont je vais maintenant vous parler.
On démarre avec Les Années d'attente de Maurizio Viano, nouvelle pas très joyeuse sur une mission spatiale qui arrive enfin à sa destination, Mars, avec quelques années de retard. Sauf que l'équipage désormais réduit n'a pas très bien vécu la longue solitude du voyage. Un petit goût d'aventure spatiale old school et un peu de mélancolie sont au programme.
Ministre de nuit de Anna Rinonapoli est un texte très différent, qui raconte le périple d'une équipe d'astronautes qui cherchent à prévenir le ministre d'un danger imminent, et qui doivent pour y arriver affronter le pire des monstres : l'administration. Ca ressemble beaucoup à la maison qui rend fou, parfois ça ressemble un peu trop à la réalité, c'est donc ubuesque et délicieux à lire !
Dans Les Belles filles de madame Doré de Giuseppe Pederiali, on visite un monde post catastrophe nucléaire où la beauté a disparu, ce qui est difficile à accepter pour le héros, jadis poète. Encore un texte assez mélancolique, mais qui termine sur une note plutôt positive.
La nouvelle suivante, Un triptyque pour nos frères de Sandro Sandrelli, m'a un peu laissé sur le carreau. Dommage les prémices avec cette exploration d'un lieu mystérieux sur une planète étrangère me plaisait bien, mais j'ai décroché quand le personnage principal a sombré dans le délire mystique.
Trente-sept degrés centigrades de
Lino Aldani semble aller de paire avec
Ministre de nuit dans son délire administratif, avec la description d'une dystopie où la Sécurité sociale a pris le pouvoir (si si je vous jure). Et quand on pense aux problèmes qu'on peut avoir pour obtenir un prêt quand on un souci de santé, la nouvelle garde un petit air d'actualité... avec une chute prévisible mais savoureuse ! A noter que
ce texte a été réédité (peut-être dans une version plus complète) dans la collection Dyschronique.
Il suffit de lire le titre de la nouvelle Le Dernier Pape de Roberto Vacca pour savoir de quoi elle parle. Je m'attendais à m'ennuyer, mais j'ai trouvé ce texte émouvant quand on voit ce pauvre personnage... et légèrement effrayant dans sa merchandisation de tout... cela va bien de concert avec tous les articles sur le tourisme mémoriel que j'ai pu lire récemment.
Propos sur Londres et quelques crimes de Ugo Malaguti est un texte qui nous emmène dans une Londres étrange où un meurtre a été commis. Même si je me doutais de la résolution finale, j'ai adoré le joyeux mélange de personnages qu'offre l'histoire.
L'Explosion du Minotaure de Vittorio Curtoni est une nouvelle étrange où la SF semble plus là pour créer une ambiance que pour jouer un vrai rôle. Cette histoire d'homme qui sombre dans la folie, persuadé que son père mort est toujours en vie ne m'a pas vraiment parlé, même si elle est joliment construite.
Le texte suivant, La Fin de l'âge d'or de Piero Prosperi est très court mais plutôt délicieux dans la veine extrapolations folles dans le futur sur comment nous vivions à notre époque (et dans le cas présent, sur pourquoi nous avions des voitures aussi différentes les unes des autres).
Où meurt l'Astragale de Livio Horrakh est un récit de voyage d'un monsieur-tout-le-monde qui fuit après une guerre nucléaire. Le périple se révèle contre toute attente étonnant touchant, certainement un des plus jolis textes du recueil.
Projetons-nous ensuite dans la Venise du futur avec Les Hommes des tableaux de Renato Pestriniero, où la ville abandonnée n'est plus qu'un site touristique... un peu comme dans Le dernier Pape, avec une interrogation sur ce qui fait un artiste en prime.
Dans la boule de cristal de Vittorio Catani est un texte un peu à part, à la tonalité plus fantastique, avec une histoire de voyance... quoique vu les explications du pourquoi du comment qui vont avec, on est à la limite de la science parfois ! Intéressant, belle ambiance mais l'intrigue ne m'a qu'à moitié convaincue.
Avec Circé de Mauro Antonio Miglieruolo, on entre dans le domaine de la nouvelle à cheval entre l'allusion mythologique et la quasi-pornographie (du coup ça justifie la couverture !). Ca se lit bien, à ma grande surprise, mais la thématique m'a un peu laissé sceptique (et certains passages… sans commentaire).
La nouvelle qui termine le recueil, La Logique du murex de Gianni Montanari, est encore (!) une nouvelle de fin du monde, où une jeune femme (rare protagoniste féminin de ce recueil) ère à travers une Italie déserte où les immeubles tombent en poussière et où les monstres rôdent. Belle ambiance, et joli final assez surprenant.
La guerre atomique et autres thématiques de fin du monde dominent ce recueil, ce qui n'est guère surprenant quand on jette un œil aux dates des nouvelles (années 60-70). Cela donne des textes souvent mélancoliques, mais de façon surprenante, pas forcément dramatiques.
Pour être honnête, je n'ai pas eu de grand coup de cœur sur ce recueil, à part peut-être Où meurt l'Astragale de Livio Horrakh (qui est un très joli texte), et un peu pour les deux délires administratifs que sont Ministre de nuit et Trente-sept degrés centigrades.
Cependant c'était globalement une lecture plaisante, qui m'a donné envie de voir ce qui s'écrit en Italie aujourd'hui comme SF. Mais il faudra trouver une autre source d'information, parce qu’il me semble avoir vérifié, il est difficile de trouver quoi que ce soit de récent de ces auteurs (soit ils n'écrivent plus, soit ils ne sont pas traduits).