Cela faisait un petit moment que je ne vous avais pas servi de texte d'Ursula Le Guin, il est grand temps de s'y remettre avec L’œil du héron, un petit roman de SF écrit à la fin des années 70 qui met en scène les troubles d'une colonie pénitentiaire sur une autre planète, Victoria.
D'un côté, on trouve les descendants de criminels d'Amérique du Sud déportés en premier pour leurs crimes, et qui ont organisé leur société, la Cité, de façon bien archaïque : une élite qui opprime les plus pauvres, des domestiques soumis et fouettés si nécessaire, et des femmes cantonnées à la maison pour se marier et faire des enfants !
En face d'eux, la deuxième vague des déportés est formée des membres du Peuple de la paix, une mouvance pacifiste dans la lignée de Gandhi, dont les dirigeants politiques terriens étaient trop contents de se débarrasser pour pouvoir se taper dessus en toute tranquillité. Cette communauté est désormais lassée d'être exploités par les habitants de la Cité, et envisage d'aller s'installer ailleurs sur la planète...
Évidemment, ce n'est pas du goût de la Cité qui n'a pas envie de perdre ses travailleurs agricoles, et la tension monte entre les deux communautés. Tandis que la Cité cherche à provoquer les pacifistes pour mieux les écraser, le Peuple de la paix, lui, cherche justement à ne pas rentrer dans le conflit.
Cela donne un roman assez étrange à lire, car les explosions ne sont pas souvent là où on les attend, et les situations sont désamorcées de façon parfois surprenante quand on est habitué à tout voir se régler par la force et les armes (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a jamais de violence ceci dit).
C'est d'ailleurs ce qui fait l'attrait de L’œil du héron. Le mode de vie et la façon dont sont gérés les conflits par le Peuple de la Paix ne peut que faire rêver et réfléchir sur la façon dont nous interagissons avec les autres, à petite et à grande échelle.
Mais là où on reconnaît bien la patte d'Ursula K. Le Guin, c'est que cette société est présentée sans la naïveté qu'on attendrait avec un peuple de pacifistes. Un peu comme les Dépossédés, on est proche de l'utopie, mais une utopie ambiguë, jamais idéale, qui a ses bons côtés et ses limites.
Pour le reste, on a affaire à un pur roman d'Ursula Le Guin : une bonne dose de vraie étrangeté (pour les espèces animales et végétales de la planète), un univers tout sauf occident-centrique (on y évoque à peine l'Amérique du Nord), des personnages souvent complexes qui se cherchent, et une écriture sensible et douce qui évoque les choses mais ne les impose pas.
Si on cherche à le classer en regard de ses autres œuvres, bien sûr il n'a pas la richesse de ses plus grands chefs d’œuvre. Mais cela n'enlève rien au plaisir de lecture, et L’œil du héron a le mérite d'être court (même pas 200 pages) et facile à aborder. S'il n'était pas aussi difficile à dénicher, je le conseillerais même pour faire connaissance avec l'auteur !
Pour la petite anecdote, bien que le texte en lui-même reste relativement intemporel, l'objet-livre en lui-même ne fait pas tout jeune. A cause de la couverture, de la collection « Futurama » et de sa ligne graphique rétro ? Absolument pas, c'est en regardant la quatrième de couverture que le livre prend un sacré coup de vieux :
D'ailleurs j'ai étrangement moins de mal à lire dans le métro un livre d'or avec une femme à poil en couverture qu'un roman avec une pub pour des clopes en quatrième de couv !
Haha énorme la pub !
RépondreSupprimer@Tigger Lilly
RépondreSupprimerC'est les joies des vieux bouquins ^^