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mardi 7 juin 2011

Lavinia - Ursula K. Le Guin


Ca fait un bon moment que j’ai acheté le dernier roman d’Ursula Le Guin, mais je cherchais une bonne occasion pour me lancer dedans. En finir avec les concours me paraissait un très bon prétexte, même si ce n’était peut-être pas la période idéale.

En effet, je préfère prévenir d’entrée de jeu, je n’ai pas autant apprécié ce livre que j’aurais dû. Il faut dire aussi que j’ai eu la bonne idée de le commencer en attendant de passer devant le jury du concours, ce qui n’a pas aidé du tout vu le stress qui s'accumulait peu à peu.

En plus, j’avais entendu et lu tant d’éloges sur ce livre que de ne pas tomber immédiatement amoureuse de lui m’a beaucoup perturbé, et j’ai un peu passé le restant de l’histoire à chercher ce qui en faisait un chef d’œuvre au lieu d’apprécier la lecture en elle-même…

Du coup je me retrouve avec un bilan pas aussi enthousiaste que je ne l’aurais pensé, alors que ce livre n’a rien fait pour mériter ça. Je n’aurais pas dû le faire trainer autant, je pense. Mais vous n’êtes pas là pour m’entendre raconter ma vie, parlons plutôt du contenu.
Une fille lui restait, seule héritière de sa maison et de ses vastes domaines, bien en âge de prendre un époux. Plusieurs princes du vaste Latium et de l’Ausonie tout entière briguaient son alliance.
Avec cet exergue (dont je vous épargne la version latine), Ursula K. Le Guin quitte le terrain de la science-fiction pour s’approcher de celui du roman historique, en s’attaquant à un texte, on ne peut plus classique, l’Eneide de Virgile, et en le réécrivant du point de vue de Lavinia, la femme qu’épouse Enée en débarquant dans le Latium.

Vos cours de latin ne sont qu’un lointain souvenir, voir vous n’en avez jamais eu. L’Enéide est un peu aux romains ce que l’Iliade et l’Odysée sont aux grecs, un poème en vers épique avec en bonus la volonté d’inscrire l’Empire romain dans une sorte de continuité mythologique.

En effet, il raconte les mésaventures d’Enée, un prince troyen fils d’Aphrodite, qui après moult péripéties, débarque dans le Latium (l’Italie quoi), fondera un royaume, deviendra l’ancêtre de Romulus et Remus (les fondateurs de Rome), et accessoirement inscrira Auguste dans cette filiation en rattachant la famille de Jules César à cet illustre ancêtre.

C’est un grand classique de faire ça, je crois qu’on roi de France a fait la même chose plus tard avec encore un autre prince troyen qui fuit Troie en flammes pour aller s’installer ailleurs. Quoi de mieux pour créer ainsi une légitimité dynastique. L’Eneide ne se résume pas qu’à ça, ceci dit, mais comme je suis loin de l’avoir lu dans son intégralité, je laisserais d’autres en parler.

Lavinia reprend donc la matière de l’Eneide, mais dans une interprétation très personnelle et très féminine surtout, puisque le narrateur n’est autre que Lavinia, qui nous raconte sa jeunesse, l’arrivée des Troyens et les guerres qui en découlent, puis, continuant là où s’arrête l’Eneide, son mariage avec Enée, et le reste de sa vie.

En soi, c’est un exercice exemplaire de réécriture, qui s’attache à donner vie à une époque qu’on ne connait pas forcément bien, celle de la Rome avant l’Empire, et même d’avant la République. On a souvent tendance à confondre civilisation grecque et romaine, mais Ursula Le Guin pointe parfaitement les différences entre les deux.

Cela se voit surtout au niveau de la place des femmes (bien moins enfermées dans leurs quartiers), et en matière de sentiment religieux. On est ici plus dans une religion du quotidien, avec des dieux qui sont moins des êtres supérieurs que des puissances tutélaires là en permanence.
En Grèce, le grand Homère dit que ce sont les dieux qui allument les flammes. En Italie, la jeune Lavinia dit que le feu est le dieu.
C’est donc un plaisir de plonger dans cette ambiance, d’autant plus que Ursula Le Guin est comme toujours une très bonne conteuse. Il ne se passe pas grand-chose, et pourtant, on plonge dans l’histoire avec plaisir, parce que c’est bien raconté.

Bien qu’ayant un cadre assez strict pour les personnages, elle arrive à leur donner une vie et une épaisseur, que ce soit Lavinia, son père (tous deux sont vraiment caractérisés par leur piété) ou Amata (la mère folle de Lavinia).

Mais ce roman resterait juste classique s’il ne jouait pas sur la réalité de l’histoire, en confrontant Virgile et Lavinia. Cet échange complètement surréaliste (même pour de la fantasy) entre un auteur et sa création fait presque toute la saveur de l’ouvrage. Leurs dialogues sont parmi les plus émouvants de l’ouvrage, et le fait que Lavinia se considère donc comme un personnage de fiction peut vous travailler un moment.
Le poète l’a fait vivre, vivre grandement : il doit donc mourir. Moi, à qui le poète a donné si peu de vie, je peux continuer. Je peux vivre et voir le nuage sur la mer à la fin du monde.
En fait, ce qui m’a sûrement dérouté par rapport à la production habituelle de Le Guin (surtout les derniers que j’ai lu, que ce soit les Chroniques des Rivages de l’Ouest ou le cycle de l’Ekumen), c’est que le texte m'a paru moins riche en idées.

Bien sûr, on trouve dans les propos de Lavinia des choses très intéressantes, notamment sur la guerre vue du côté des femmes. Mais le sous-texte est moins riche que d’habitude, sans doute limité par l’histoire d’origine, et c’est sans doute ce qui m’a manqué le long de ma lecture. Il y a finalement assez peu d’ouverture, l’histoire est fermée sur elle-même.

Ca n’enlève rien au roman, ceci dit. C’est un récit prenant, une très belle réécriture qui donne envie de se plonger dans le texte original (qui est sûrement bien moins abordable), et c’est très bien écrit, comme toujours avec Ursula K. Le Guin (le fait que ce soit un roman d’elle est gage de qualité, de toute façon), mais il me laisse un petit goût d’inachevé.

Mais c’est souvent le cas quand on se fait de très grandes espérances. Cependant rassurez-vous, je l’ai tout de même lu avec beaucoup de plaisir, et je vous le recommande chaudement.

Ce livre a été lu en lecture commune avec Cachou.

CITRIQ

5 commentaires:

  1. Bon du coup je regrette moins de ne pas l'avoir acheté l'autre fois quand il m'est tombé des mains et que je l'ai reposé ^^

    Je pense que je l'emprunterai, parce que j'ai peur d'être déçue maintenant.

    P'têt que tu essaieras de le relire dans de meilleures dispositions pour toi et que ça passera mieux alors ?

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  2. Pour finir, tu l'as moins aimé que moi mais tu l'as mieux analysé ^_^.
    Je comprends ta déception, je l'ai ressentie lors de certains passages qui m'ont moins plu.
    Par contre, même si le roman ne regorge pas d'idées à la manière des autres de l'auteur, je le trouve quand même riche dans sa manière d'appréhender les relations humaines, dans toute cette lecture féministe mais réaliste du devenir des femmes de l'époque, dans la clémence envers le personnage de la mère qui, toute emportée par sa folie qu'elle soit, reste compréhensible et comprise par sa fille. Plein de petites choses dans la description des rapports entre ces personnages qui en font plus un roman psychologique qu'histoire, mais que j'ai beaucoup apprécié pour ça.

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  3. @Olya
    Bah je peux te le prêter cet été ceci dit ^^

    @Cachou
    Bah j'ai pas trop compris, en même temps j'étais un peu mitigée, et en arrivant à 2 pages de texte, je me suis dit que je devais l'aimer quand même pour en parler autant xD
    Mais oui moi aussi j'ai bien aimé cette façon d'appréhender les relations humaines, c'est typique de Ursula Le Guin, mais ça fait toute la saveur de ses écrits.
    (bon et je m'en vais lire ton avis à toi ^^)

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  4. C'est le premier que je lis de cette auteure et j'avoue avoir été subjuguée, l'alchimie ne s'est pas opérée immédiatement mais une fois dedans, je l'ai lu comme on se laisse porter dans une barque au fil de l'eau.
    Il est vrai que lorsqu'on aborde un roman dont la quatrième de couverture augure du meilleur, on appréhende de ne pas le trouver à son goût, j'ai eu un peu peur au début ensuite la sauce a pris. Cela ne fonctionne pas toujours mais en l'occurrence là je ne suis pas déçue.
    Malgré ton avis un peu mitigé, tu as fait tout de même un billet de qualité ^^

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  5. Ah bah tu peux continuer à lire du Ursula Le Guin, c'est toujours aussi bien... (et c'est facile d'écrire des billets de qualité sur une Dame qui écrit aussi bien en fait ^^)

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