Après avoir exploré la science-fiction italienne par le biais d’un livre d’or de la SF, j’ai voulu tenter la même aventure avec un autre pays, et je me suis donc plongée dans le livre d’or de la SF allemande, sous-titré Etrangers à Utopolis.
Notons tout d’abord que pour une fois la couverture, où Hitler semble avoir été portraituré par Dali, semble à peu près appropriée (si on ne trouve nulle uchronie de la Seconde Guerre dans ce recueil, les dystopies et les tyrans sont légion). Cela a sans doute à voir avec le fait qu’elle n’est PAS signée de Marcel Laverdet (à quelque part je me sens lésée d’ailleurs).
Elle a été réalisée par Helmut Wenske, un illustrateur allemand. En cherchant un peu j’ai découvert qu’elle avait aussi servi pour un autre livre (avec un titre un peu plus cohérent), preuve qu’il est toujours possible de faire des histoires sur les couvertures de cette collection !
A part ça que trouve-t-on au programme de cette anthologie ? Tout d’abord la traditionnelle introduction signée par l’anthologiste, Daniel Walther, dans laquelle, je dois avouer, j’ai vite été perdue au milieu des noms. Il en ressort une impression de SF allemande pas très structurée (en même temps on obtiendrait peut-être le même résultat en résumant la SF française des années 70 si ça se trouve).
Un passage m’a tout de même marqué : « Il n'y aura jamais plus une seule Allemagne. La réunification des deux Allemagne participe d'un rêve passéiste extrêmement dangereux. Et résolument réactionnaire ». Le plus drôle quand on lit de la vieille SF (1980 ici), c’est quand elle se plante complètement !
Après quoi on plonge dans les nouvelles, en commençant avec Sur la bulle de savon de Kurd Lasswitz qui raconte fort joliment un voyage extraordinaire à la surface… d'une bulle de savon qui se révèle un monde à part entière (avec ses habitants, et son écoulement du temps qui diffère). Une chouette découverte donc.
Rakkox le milliardaire : le roman d'un nouveau riche de Paul Scheerbart est un récit délirant autour de la figure d'un milliardaire qui aime les innovations et peut tout s'offrir. Pour un texte de 1900, il contient quelques belles idées (notamment un essai sur l'intérêt de la guerre sous-marine, à la fois délirant et visionnaire, et le concept de détruire les nations en offrant des billets de croisière pas chères !)
La Bombe solaire de Walter Ernsting dégage une ambiance de vieux space-opera avec son bourlingueur spatial qui se retrouve coincé entre les humains et une race alien toute aussi vindicative. J'ai bien aimé ce qui est dit sur l'espèce humaine et son bellicisme continu, à défaut d'accrocher complètement à l'histoire. La fin, ceci dit, n'est pas dénuée d'ironie.
La Belle et la bête de Ernst Vlcek est un très étrange texte explorant le schéma classique de la société futuriste matriarcale, mais avec une atmosphère de conte de fées. Très cliché sur pas mal de points, mais l’atmosphère est étonnante.
Anatomie de la peur de William Voltz est un de ces textes de SF comme je les aime, avec une chute bien grinçante pour cette projection dans un futur où les banques d'organes sont légions.
Les Enclaves de Herbert W. Franke est un court texte qui parle d'écologie et de surpopulation. Le résultat est plutôt sympathique et percutant.
Le Conseiller du dessous de Peter von Tramin est une nouvelle fantastique plutôt efficace.
Les Autres de Wolfgang Jeschke nous projette dans un futur ravagé par le nucléaire, mais dans avec atmosphère très fantastique... ce qui explique sans doute que j’ai eu un peu de mal avec cette histoire à cheval entre deux registres.
Les Grandes manœuvres de Herbert W. Franke est une histoire sur l'absurdité des conflits, alors qu'une nation pacifique décide d'organiser de grandes manœuvres militaires pour garder sa population entraînée au cas où. On se doute assez vite de la direction que va prendre l'intrigue, mais la construction (un recueil d'articles, communiqués et cie) et le final sont délicieusement absurdes.
Une mission pour Lord Glouster de Alfred Andersch est un dialogue assez fou avec un voyageur temporel, l'aspect folie étant dans le fait que les deux protagonistes semblent trouver l'idée de parler de ça tout à fait logique.
Projet N.O.E. ténèbres et azur de Hermann Ebeling met en scène une Terre à l'agonie où les derniers survivants vivent dans des dômes surpeuplés. L'ambiance est plutôt réussie.
Je suis un peu passée à côté de L'Île de Reinhard Merker, où un homme se fait construire une forteresse sur une île pour échapper au monde. La faute à un héros pas très sympathique.
Premier Amour de Gerd Maximovic met en scène un homme condamné dans une société très 1984, l’ambiance est plutôt intéressante.
Autoexpérimentation de Harald Buwert est un autre texte très 1984 dans son ambiance. Encore plus avec ce dialogue entre un auteur de propagande et son lecteur officiel sur le sujet de la révolte.
Épines de lumière de Gerd Ulrich Weise est un post-apo où l'homme est revenu à un mode de vie primitif. Encore une fois on trouve quelques jolies trouvailles mais j'ai moyennement accroché au mode de récit.
Le recueil se termine sur La Démonstration de Gerhard Zwerenz, une excellente conclusion qui brasse plein d'idées sur la fin de l'humanité, et dont l’introduction contient quelques perles de pragmatisme telles que celle-ci :
« Le 24.12 de chaque année, des fusées spatiales rasent nos villes en vue de créer un nombre suffisant d’emplois pour l’année suivante. Il faut bien reconstruire les métropoles anéanties. Jadis, les grandes et les petites cités humaines étaient détruites par les guerres. Depuis quelques temps, chaque Etat rase ses propres villes. »
Cette anthologie contient quelques chouettes trouvailles, mais je dois avouer que je suis un peu restée sur ma faim, la faute à des thématiques qui n’ont pas forcément bien vieilli et à des récits qui ne se démarquent ni par leurs idées brillantes ni par leur écriture extraordinaire.
En plus ils ne sont pas particulièrement bien mis en valeur par l’anthologiste qui explique presque dans chaque introduction de nouvelle qu’il aurait voulu mettre une autre nouvelle bien meilleure à la place, mais qu’elle était soit trop longue, soit pas assez représentative, soit déjà publiée ailleurs !
C’est dommage car je soupçonne que ça a joué dans mon ressenti, soit parce que j’aurais préféré le meilleur texte non retenu tant qu’à faire, soit parce que j’ai du mal à retrouver dans ma lecture l’excellence mise en avant par l’anthologiste. Ca m’arrive souvent de louer l’excellent travail d’un anthologiste qui vous vend du rêve tout au long de votre lecture… pour ce livre-là ça a été hélas l’effet inverse !