J’ai un peu bousculé mon planning de parution de chronique, mais il me paraissait capital de parler du Grand Livre de Mars… en mars. Ce titre n’a bien sûr rien à voir avec ces fameux « Grand livre du mois » comme ceux qui s’accumulaient chez ma grand-mère. Il s’agit de science-fiction. Plus précisément, de la bonne vieille science-fantasy écrite par Leigh Brackett.
Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais moi, quand les éditions Pocket m’ont proposé ce livre en partenariat, j’ai sauté de joie (intérieurement). L’accroche sur la couverture vous l'apprendra aussi bien que moi, Leigh Brackett, c’est la scénariste de l’Empire contre-attaque (elle n’a écrit que la première version mais ne chipotons pas sur les détails), autant dire que ce n’est pas n’importe qui.
Et son Grand Livre de Mars est une collection d’histoires plus ou moins courtes (cela va de la nouvelle de 40 pages au court roman de 200 pages) tournant autour de la planète Mars. Une Mars habitée par une civilisation martienne, bien sûr, qui a la particularité d’être bien plus ancienne que celle de la Terre, mais aussi d’être au bord de l’abime, à cause de l’épuisement des ressources et de la désertification progressive.
Les Terriens ont bien évidemment fini par venir leur rendre une petite visite et commencer à occuper les lieux, de même qu’ils se sont également rendus sur Vénus et Mercure. Les différentes histoires du Grand Livre de Mars mettent en scène ces terriens, et les différentes aventures qu’ils vivent sur cette planète.
Et il y en a pour tous les goûts : aventurier-archéologue qui s’égare quelques millénaires dans le passé, baroudeur qui déjoue une tentative de révolte barbare, ou encore médecin qui s’oppose aux superstitions des tribus martiennes.
Les trois premières histoires du recueil, l’Epée de Rhiannon, le Secret de Sinharat, et le Peuple du Talisman ont vraiment un parfum de Conan : héros musclé doué pour le combat à mains nues ou à l’épée, hordes de barbares, magie maléfique (ou équivalent), femmes fatales, batailles, guildes de voleurs, on s’y croirait presque, jusque dans le léger machisme qui pointe parfois (cela prête plus à sourire qu’autre chose, c’est écrit par une femme quand même !).
Pour de la science-fantasy, c’est d’ailleurs plus de la fantasy que de la science, l’argument SF étant très léger : quelques technologies surévoluées dans un monde plutôt médiéval, quelques races étranges (bien que le martien type soit humain), un pistolaser qui s’égare, et des vaisseaux spatiaux qui ne sont jamais mentionnés, mais on se doutera que les Terriens ne sont pas arrivés là en vélo !
Les cinq autres histoires, des nouvelles regroupées sous le titre Les Terriens arrivent, s’inscrivent un peu moins dans ce genre de sword and sorcery sur Mars. On y évoque plus la rencontre entre terriens et martiens : la découverte de cités anciennes et de fragments de l’histoire oubliés de tous, le contraste entre les belles cités marchandes futuristes et les villages martiens miteux, les étranges rituels martiens qui peuvent sembler si cruels aux terriens.
Ces histoires sont un peu plus intimistes, parfois plus SF que fantasy, et évoquent tout du long un sentiment de mélancolie et de tristesse, car aussi fascinante qu’elle soit, la civilisation martienne est clairement en fin de vie, de même que sa planète.
C’est d'ailleurs cette mélancolie sous-jacente qui fait une bonne part de l’intérêt de ce recueil, car sous couvert d’aventures somme toute assez convenus, l’évocation de l’histoire de la planète est tout à fait poignante, et on finit par tomber amoureux de cet univers poussiéreux et décadent.
Mais l’attrait du Grand Livre de Mars ne s’arrête pas là. Je ne cache pas avoir un certain amour pour les vieux textes de SF dont les idées peuvent sembler complètement absurdes aujourd’hui, cette science-fantasy qui ne me semble plus trop au goût du jour. Celui-ci est tout à fait exemplaire dans le domaine, avec son évocation de la vie sur Mars (où les fameux « canaux » qu’on croyait voir sur le sol de Mars jouent un rôle très important), et mieux encore, de complexes miniers sur Mercure. Sans parler de ces martiens qui sont pour la plupart des humains, comme s’il ne pouvait avoir autre chose dans l’univers.
Et pourtant, ce texte n’a pas vieilli (ou si peu), et se lit avec un réel plaisir. Leigh Brackett maitrise tout à fait l’art de la narration, et on n’a jamais le temps de s’y ennuyer : les histoires sont prenantes, bien rythmées et feuilletonnantes, où les fins de chapitres poussent à enchainer sur le suivant. Il n’y a guère que les héros qui soient un peu lisses (quoique Eric Stark, qu’on croise à deux reprises, a un certain caractère), mais ils sont plus là pour emmener le lecteur en voyage qu’autre chose.
Je trouve même que les thématiques restent encore tout à fait d’actualité, surtout dans la dernière nouvelle, la Route de Sinharat, où se pose la question d’améliorer les conditions de vie des martiens, mais peut-être au prix des ultimes ressources de la planète.
C’est donc un très chouette ouvrage que ce Grand Livre de Mars, lecture très distrayante, mais aussi un très bon exemple de ces trésors oubliés de la SF qu’il fait bon de rééditer de temps en temps, pour qu’on puisse les redécouvrir.
Si cette édition a oublié en passant l’essai et la bibliographie présents dans l’édition du Belial (dommage…), elle contient tout de même une préface de Michael Morcook plutôt intéressante, quant à l’impact de Leigh Brackett sur les autres écrivains (à l’entendre elle aurait inspiré un paquet de noms connus).
Il évoque notamment son influence sur Ray Bradbury, et je veux bien le croire sur parole, depuis que j’ai terminé ce livre, je n’ai qu’une envie, relire les Chroniques martiennes ! Il va falloir que j’aille récupérer mon vieil exemplaire resté chez mon père, je vous en reparlerai peut-être…
En tout cas, merci aux éditions Pocket pour cette très belle découverte !