mardi 18 octobre 2016

Kirinyaga – Mike Resnick


J'ai beaucoup entendu parler de Kirinyaga lorsque le texte est ressorti en intégral chez Lunes d'encre, mais comme souvent avec les chefs d'œuvre, je l'ai laissé prendre un peu la poussière pour l'aborder avec un esprit vide de toute attente. Maintenant que j'ai oublié ce qu'en disaient les collègues, il est grand temps de s'y attaquer !

Kirinyaga se situe dans un futur où il est possible de partir créer son utopie sur un monde terraformé. C'est ce que font les Kikuyus, un peuple du Kenya qui cherche à recréer leur mode de vie traditionnel fondé sur l'agriculture, loin de toute technologie. Ils seront guidés sur cette voie par Koriba, leur mundumugu (sorcier et accessoirement gardien des connaissances), qui raconte son expérience et nous dévoile ainsi la difficile mise en place de cette utopie.

Kirinyaga est un roman très intéressant rien que pour son idée principale : explorer les possibilités d'une utopie. Le sujet n'est pas si courant que cela en SF, on lui préfère la dystopie, tellement plus facile à mettre en scène. Pourtant l'utopie est fort intéressante, car bien qu'elle ne soit pas imposée, cela ne la rend pas facile pour autant.

Bien au contraire, la vivre ne va pas sans difficultés et la préserver a un coût. C'est ce que nous rappelle chaque nouvelle de Kirinyaga, qui ne choisit pas une utopie « facile » : on suit ici un retour aux racines, qui pousse les membres de cette utopie à revenir à des coutumes qu'on aurait vite fait de juger « barbares » (rituels magiques en tout genre, excision et abandon des malades et des grabataires aux hyènes) tout en refusant toute technologie avancée.

La première chose que j'ai aimé dans Kirinyaga, c'est la structure. C'est un roman fix-up composé de huit nouvelles (plus un prologue et un épilogue), et chaque nouvelle se présente de la même façon, avec un conte traditionnel en introduction qui s'articule avec le récit qui vient ensuite. On oscille donc sans cesse entre les légendes anciennes et histoire du futur avec de très nombreux parallèles entre les deux, pour un résultat brillant, très équilibré et prenant.

L'autre chose qui est fort appréciable, c'est la mise en scène de l'Afrique, celle du passé comme du futur. Cela change agréablement de tous ces textes centrés sur l’occident, et du peu que je suis capable de juger, j'ai trouvé la représentation qui en était donnée fort réaliste.

Cette nouvelle édition est accompagnée d'une novella, Kilimanjaro, qui vient compléter le premier récit en mettant en scène la construction d'une utopie masaï un siècle après celle de Kirinyaga. Le parti-pris est très différent (on est bien plus dans l'ouverture que dans la conservation des traditions), et la mise en perspective des deux textes est fort intéressante, mais je lui ai trouvé un côté un peu trop « parfait » qui la rend un peu moins captivante.

Ce qui n'enlève rien au mérite de cet ouvrage cependant. De par son sujet et de par son approche, Kirinyaga sort de l'ordinaire science-fictif, et offre une histoire intéressante, bien construite et originale dont on aurait vraiment tort de se priver. Voilà qui justifie sans peine la nuée de prix qui accompagne ce fix-up, que je vous invite à découvrir si ce n'est pas déjà fait.

A noter que la quatrième de couverture compare ce roman aux Chroniques martiennes. J'ai trouvé le parallèle tout à fait pertinent pour la structure, mais j'avoue avoir pour ma part beaucoup pensé aux Dépossédés d'Ursula K. Le Guin, dont l'approche anthropologique est très différente mais qui traite de la même thématique, à savoir le prix et les limites d'une utopie.

CITRIQ


Item 11 : Lire une oeuvre de SFFF dans laquelle l’Afrique (ou un pays d’Afrique) tient une place prépondérante

12 commentaires:

BlackWolf a dit…

J'ai moi aussi passé un très bon moment de lecture avec ce roman intelligent. Par contre je n'ai pas lu les Dépossédés que tu cites de Le Guin, il me tente bien maintenant.

Tigger Lilly a dit…

Dabs la wish list depuis sa sortie. Ca a l'air passionnant. J'apprécie aussi de plus en plus le principe du fix up.

lutin82 a dit…

Dans ma wish-list également! Cela sent bon!!!

Vert a dit…

@BlackWolf
Il faut lire Les Dépossédés ! (même si le traitement du sujet est fort différent)

@Tigger Lilly
C'est un format qui peut être intéressant (là les différents textes s'enchaînent vraiment bien).

@lutin82
Je te le recommande vivement ^^.

shaya a dit…

Ah ben pour ma part l'aspect fix up me rebute un peu... Au moins je suis prévenue si je tente ma chance !

Vert a dit…

@Shaya
Pour le coup ça pourrait ne pas en être un tellement les nouvelles s'enchaînent bien !

Lorhkan a dit…

Ah enfin ! Depuis le temps que j'en parle. :D
Et donc Le Guin. Oui, depuis le temps que tu en parles... ;)

Baroona a dit…

J'avais été légèrement déçu. Non pas que la lecture ne soit pas très bonne, mais je n'avais pas eu le grand coup de coeur espéré, d'autant plus que j'avais déjà lu d'autres très bonnes choses de Mike Resnick.
Pour couronner le tout, je crois même avoir préféré "Kilimandjaro" à "Kirinyaga". ^^
Mais ça reste bon quand même, et les fix-ups, c'est cool.

Ksidra a dit…

Je ne l'ai pas lu, mais c'est tentant, je trouve le côté dépaysant de l'Afrique assez attirant. Et en fix-up pourquoi pas, c'est un format dont je n'ai pas du tout l'habitude !

Vert a dit…

@Lorhkan
Il fallait juste que je le sorte de ma PàL, tu n'as qu'à en faire autant ;p

@Baroona
Je t'avoue qu'il ne m'a pas retourné autant que certains chefs d'oeuvre mais c'est un beau texte. C'est quoi les autres livres que tu as lus de Resnick ?

@Ksidraconis
Faut pas se fixer sur le fix-up ^^. Franchement sur un livre comme ça on ne voit vraiment pas la différence avec un roman normal !

Baroona a dit…

"La Belle Ténébreuse", mais ce n'est pas primordial.
Par contre, "Enfer" est un chef d'oeuvre. "Paradis" et "Purgatoire" (qui forment la trilogie de livres indépendants "L'Infernale comédie") sont à coup sûr au même niveau (puisque dans le même principe), mais je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de les lire.

Vert a dit…

@Baroona
Je prends note pour l'infernale comédie alors.