jeudi 21 mars 2013

Doctor Who et les voyages dans le temps



Comme je vous l’avais promis, je ne pouvais conclure cette saison consacrée aux uchronies et aux voyages dans le temps sans vous proposer un petit article de synthèse sur ma série préférée (ah bon ? Vous ne saviez pas ?), Doctor Who.

Rassurez-vous cependant, je ne vais pas me lancer dans une histoire détaillée de cette série qui fête ses cinquante ans à la fin de l’année (quand même !), mais me focaliser sur l’aspect qui nous intéresse le plus dans le cadre de ce challenge, à savoir le voyage dans le temps. Les spoilers sont bien sûr au rendez-vous, ça vous surprend ?


La série classique


Ce qui est assez marrant, c’est qu’au tout début de la série, le voyage dans le temps n’est pas si important que ça, c’est juste un prétexte qui permet de faire des leçons d’histoire ou qui justifie la visite de civilisations futuristes.

N’oublions pas qu’il s’agit à la base d’une série voulue comme éducative (si si, je vous jure), un peu comme C’est pas sorcier à la mode british, sauf qu’en guise de camion on a une boite bleue qui voyage à travers le temps et l’espace, et qu’un alien assez caractériel amateur de sensations fortes tient lieu de présentateur.

La conséquence, c’est qu’au début de la série, le voyage dans le temps fonctionne avec une règle stricte extrêmement pratique : quand on est dans le passé, on ne peut aucunement influencer les évènements. Le futur, c’est une autre histoire, après tout, comme on ne le connait pas, il peut bien s’y passer n’importe quoi (à fortiori dans une galaxie lointaine).

D’ailleurs, il est intéressant de noter que dans la première saison, les épisodes dits « historiques » sont dénués de toute présence alien, si bien qu’on est à la limite de la reconstitution historique façon documentaire du samedi soir sur Arte, à ceci près que les héros font tout pour s’en sortir vivant (sans passer par la case guillotine par exemple, comme dans The Reign of Terror).


C’est toute la base du serial The Aztecs, dans lequel Barbara tente de faire renoncer les Aztèques aux sacrifices humains pour préserver leur civilisation, et échoue sur toute la ligne. Prévisible, me direz-vous, mais il n’empêche que cette problématique élève sacrément le niveau, et fait de ce serial  le meilleur de la saison 1, à mon humble avis.

Ceci dit, ce code de conduite strict s’assouplit assez vite, puisque dès la saison 2, on observe des entorses. Dans le serial The Romans, on voit en effet le Doctor inspirer à Néron le grand incendie de Rome (et trouver ça drôle !), autant dire que pour la non-influence, on repassera, même si la cohérence historique est bien entendue respectée.


Il me faut aussi parler de The Chase, course-poursuite à travers l’espace et le temps qui fait un crochet par la Mary Céleste, et éclaircit à sa façon le destin de ce navire fantôme…En fait si Doctor Who ne modifie pas l’histoire, il n’aime rien de mieux que de se glisser dans ses passages obscurs pour y ajouter sa touche personnelle.

D’ailleurs, si le Doctor affirme haut et fort qu’on ne peut modifier le passé, on croise à la fin de la saison 2 dans The Time Meddler, un autre Time Lord (même s’il n’est jamais nommé comme tel) qui s’évertue à réécrire l’histoire de l’Angleterre, autant dire que cette règle semble ne pas être suivie par grand monde.

Même le TARDIS semble s’en jouer dans The Space Museum : le vaisseau « saute une piste » (je vous rappelle qu’à l’époque on écoutait des disques vinyles) pour donner un aperçu du futur à son équipage, et c’est ensuite à eux de tout faire pour que l’horrible destin qui les attend ne se produise pas. L’intrigue qui suit est affreusement plate, mais il est tout de même marrant de voir que déjà à l’époque, les scénaristes commençaient déjà à saisir le potentiel narratif du timey-wimey !

Sautons maintenant quelques décennies de saisons que je n’ai toujours pas visionné (du coup vous vous épargnez cent pages de dissertation) pour passer à l'ère moderne.


La série actuelle


Si on regarde la première saison, en 2005, on reste sur un schéma assez similaire : on ne peut pas modifier le passé, par contre, pour le futur, c’est open-bar ! Ceci dit, il y a quand même une différence majeure.

Là où le premier Doctor s’efforçait de passer sans faire de vagues (façon documentaire), les Doctors « modernes » arrivent systématiquement en plein complot alien, et c’est à eux de rétablir la situation pour assurer la conservation de la ligne temporelle. De simple voyageur, le Doctor est pratiquement devenu un gardien de l’Histoire.

C’est flagrant lorsqu’on se retrouve avec un épisode comme The Long Game, où le Doctor arrive à une époque et s’étonne de ne pas la trouver comme elle devrait être. Cela prend une dimension encore plus tragique dans The Fires of Pompeii, où s’étonnant de l’absence de signes avant-coureurs en débarquant juste avant l’éruption du Vésuve, le Doctor se retrouve obliger de provoquer l’éruption…

Mais si on laisse de côté cet épisode tragique, le Doctor s’amuse surtout le plus souvent à ajouter sa touche personnelle à l’histoire. Ainsi s’éclaircissent, entre tant d’autres, une mystérieuse absence d’Agatha Christie (The Wasp and the Unicorn), comment Dickens en est venu à écrire des histoires de fantômes (The Unquiet Dead), ou encore, plus récemment, ce qu’il est advenu de Néfertiti (Dinosaurs in the Spaceship).


Ceci dit, on trouve quelques épisodes qui sortent de ce schéma traditionnel :
  • Father Day (saison 1)
On assiste dans cet épisode à une réécriture de l’histoire en direct, ce qui entraîne ni plus ni moins que la fin du monde (ce qui semble un peu déplacé quand on pense qu’on a juste sauvé la vie du père de Rose !). Aujourd’hui je trouve l’histoire des reapers, sortes de nettoyeurs professionnels des accidents temporels un peu absurde (je préfère autant quand le temps « explose » façon Wedding of River Song), mais je garde beaucoup d’affection pour cette histoire, qui s’inscrit dans une veine très intimiste du voyage dans le temps.
  • Utopia / The Sound of the Drums / The Last of the Time Lords (saison 3)
Ce triple épisode qui conclut la saison trois est pour moi un des chefs d’œuvre de l’époque R. T. Davies, en lui-même, mais aussi pour la relecture qu’il apporte de toute la saison 3. En effet, c’est le voyage du Doctor et de Martha dans Utopia qui met en branle les évènements de toute la saison 3 (avec ce cher Harold Saxon). Une authentique boucle temporelle dans toute sa splendeur !
  • Turn Left (saison 4)
La théorie du chaos adapté au voyage dans le temps, il n’y a rien de mieux. Quoi de plus fascinant de découvrir qu’il suffise de tourner à droite ou à gauche à un carrefour pour réécrire toute l’histoire ? C’est ce qui arrive à Donna, et ce changement infime conduit à la mort du Doctor, ce qui n’est pas sans entraîner un sacré boxon (quand je vous disais qu’il assurait la sauvegarde des lignes temporelles). L’exercice a ses limites, mais cela donne quand même une chouette réécriture de deux saisons entières dans une vision (uchronique ?) bien noire.
  • Waters of Mars (Saison 4 Specials)
Et puis il y a cet épisode, assez traumatisant, qui explore justement la question du « Et si le Doctor décidait de ne plus obéir aux règles ? ». Et le voilà donc à un évènement fixé, capital, et le voilà qui décide de le changer, parce qu’il en a marre de voir des gens mourir, et un peu par arrogance, empruntant ainsi un bien dangereux sentier. La leçon est cruelle, car s’il change (arbitrairement finalement) le destin d’Adélaïde Brooke, cette femme au tempérament d’acier ne l’accepte pas.

Est-ce sa volonté de se révolter contre cet homme qui joue à être Dieu, ou sa mort est-elle inévitable car on ne réécrit pas l’histoire ? La question demeure. Une chose est sûre, réécrire l’histoire n’est pas une chose simple, même pour le dernier des Time Lords...

Le cas Moffat


Et là vous vous dites « Mais elle gagaterais un peu pas la Vert, à oublier certains épisodes majeurs ? ». Je vous rassure tout de suite, je gardais le cas Moffat pour la fin. Car Steven Moffat est presque un orfèvre du voyage dans le temps, dont il fait souvent le moteur de son intrigue (alors que rappelez-vous, le plus souvent dans la série, c’est juste un mode de transport original !)

Ca se voyait déjà dans sa parodie délirante Doctor Who and the Curse of Fatal Death (ou dans ses mini-épisodes Time Crash et Space & Time) qui en exploitait avec brio le potentiel comique, ça se pressentait dans le diptyque The Empty Child / The Doctor Dances (où il s’amusait allègrement à faire se croiser plusieurs voyageurs temporels), et après... voyons un peu ce qu’il nous a fourni en matière de stand-alone :
  • The Girl in the Fireplace (saison 2)
Très belle mise en image du concept de la « voie lente », a.k.a. ce qui se passe quand une personne recroise le même voyageur temporel à plusieurs périodes de sa vie, tandis que pour lui l’aventure ne dure que quelques heures. Porté par une esthétique assez magnifique (les robots steampunk), et dans le genre histoire intimiste qui vous fera pleurer comme une madeleine, cet épisode reste un des plus beaux de tout Doctor Who.
  • Blink (saison 3)
Ah, Blink. Le paradoxe d’un épisode stand-alone dont le Doctor est pratiquement absent (si bien qu’on peut le regarder sans aucune connaissance de la série), mais qui représente ce qui fait la saveur de Doctor Who. Des personnages attachants, une intrigue haletante, des monstres effrayants, de l’humour et surtout beaucoup de timey-wimey (l’expression vient de là).

En effet vous ne trouverez jamais mieux en terme de voyage temporel, avec des gens expédiés dans le passé, de la correspondance à travers le temps, et surtout une boucle temporelle stable tellement bien construite qu’on n’y trouve pas un fil de travers, tout colle ! C’est brillant, c’est fantastique, et si vous aimez les voyages dans le temps mais pas Doctor Who (ça existe ?), vous devez voir cet épisode !
  • Silence in the Library / Forest of the Dead  (saison 4)
Pour une fois, ce n’est pas le voyage dans le temps qui est au coeur de l’intrigue de ce double-épisode, du moins pas pour le Doctor et Donna. Mais cet épisode marque la première apparition de River Song, personnage ô combien intéressant. A l’époque, on sait fort peu de choses sur elle, mais le fait que cet épisode soit sa dernière rencontre avec le Doctor, qui lui ne l’a jamais rencontrée... micmac temporel, nous voilà, et quand on se rend compte qu’ils sont sûrement plus que de simples connaissances, le résultat est si poignant qu’on en oublie presque le reste de l’histoire avec sa librairie et ses piranhas de l’ombre !

Assez ironiquement, si ces trois histoires sont pensées (et fonctionnent) comme des stand-alone, Moffat n’aura cesse de revisiter leurs motifs lorsqu’il prendra la direction de la série à la saison 5 : Amy elle-aussi connait les affres de la « voie lente » dans The Eleventh Hour, les Weeping Angels reviendront ici et là, quant à River Song... Spoilers ?


Si tous les épisodes des saisons qu'il dirige n’utilisent pas le voyage dans le temps comme outil de narration (heureusement pour nos pauvres cerveaux, ai-je envie de dire !), dès The Eleventh Hour, justement, on sent bien qu’il jouera un rôle important dans l’intrigue globale.

C’est une direction assez étrange que prend l’histoire du Doctor, car après une trentaine de saisons à sauter d’une époque à l’autre sans se soucier des conséquences, tout à coup, non seulement cela prend fin, mais pire encore, voilà qu’on cherche à l’atteindre, à le tuer (ce qui implique une certaine coordination spatio-temporelle qui intrigue et force presque le respect).

Cela culmine durant la saison 6, qui s’ouvre, pardonnez le monstrueux spoiler, sur la mort du Doctor... ce qui ne l’empêche pas de pointer son nez cinq minutes après son décès définitif... mais avec deux cents ans de moins, inconscient du destin qui l’attend. C’est un coup à faire disjoncter tous vos neurones cette introduction !

Voilà donc une excellente opportunité d’explorer la thématique des prophéties. Lorsqu’on connaît le futur, doit-on tout faire pour le changer, ou ne peut-on rien faire ? La question travaille Amy un bon moment, puis le Doctor lorsqu’il découvre la vérité... et si la résolution est un peu facile, il y a quand même une certaine virtuosité dans cette intrigue qui au lieu de s’en tenir aux traditionnels évènements et personnalités historiques, applique les troubles de de la réécriture de l’histoire au Doctor lui-même !

(Avec des points bonus pour ce qu’il se passe quand on essaye de réécrire un point fixe. Non mais vraiment, l’Orient-Express qui conduit à la zone 51 dans la pyramide de Gizeh ?)

Après quoi le Doctor décide de se remettre à l’ombre (non il n’est pas mort finalement, c’est le héros de la série tout de même !), et si la première partie de la saison 7 semble relativement dénuée de timey-wimey (à l’exception d’une histoire de weeping angels et de points fixes qui tombent un peu trop à pic), l’arrivée de la nouvelle compagne, Clara, vient avec son lot de mystères temporels, autant dire qu’on s’oriente sûrement vers quelques belles prises de tête spatio-temporelles.


Cette nouvelle approche du voyage dans le temps à une aussi large échelle n’est pas sans défauts, l’histoire des points fixes finit presque par sembler douteuse, car pas toujours très logique. Elle nécessite donc une belle suspension consentie de l'incrédulité (encore plus que celle qu’on pratique d’instinct sur les voyages dans le temps !).

Mais il faut tout de même reconnaitre que toutes ces intrigues temporelles dynamisent énormément la série. Et puis à l’heure actuelle, on aurait bien du mal à concevoir une série télé de cette ampleur sans un côté blockbuster, même au niveau voyage dans le temps.

Je ne doute pas que cela passe de mode un jour (c’est même assuré), mais je suis sûre que les scénaristes trouveront alors d’autres idées... c’est là toute la force de la série, parce que ses personnages changent souvent, il lui est assez facile de se renouveler. Autant dire que Doctor Who a encore de très belles heures devant lui. A commencer par la deuxième partie de la saison 7 à partir du 30 mars...


Voilà, avec cette participation (affreusement longue, si vous avez tout lu vous êtes bien courageux !), je clôture mon Winter Time Travel, juste à temps !

4 commentaires:

JainaXF a dit…

Très bel article et synthèse du voyage dans le temps dans la série !
MOffat pour moi, c'est un peu le Jekyll et Hyde de Doctor Who : bien cadré, il peut faire des épisodes magnifiques qui comptent parmi les meilleurs de la série (Blink, Silence in The Library) et avec de très beaux effets timey-wimey, mais tout change quand on lui lâche les rênes trop longtemps...


La résolution de la saison 6 est pour moi beaucoup trop facile et n'implique pas assez d'effets temporels justement, sans parler su personnage de River Song dont les origines et le traitement (notamment émotionnel) se révèlent assez décevants au final ! Et ne parlons pas des blockbusters de la saison 7 particulièrement médiocres pour la série ! Du coup je me méfie du nouveau mystère temporel promis...

Je trouve d'ailleurs que les défauts de Moffat se voient déjà un peu dans The Girl in The Fireplace que je n'ai pas aimé : il n'est pas cohérent émotionnellement (le Docteur qui oublie totalement Rose et Mickey sur un vaisseau futuriste pour une femme qu'il connaît depuis 5 minutes) et intellectuellement (le Docteur est un génie et ne pense pas à utiliser le TARDIS plutôt que la cheminée à la fin ??) ! C'est dommage car il il y a une belle esthétique et de bonnes idées...

Bref, j'adore les stand-alone de Moffat, mais sur la durée je préfère définitivement le traitement de Davies : plus simple mais à peu près cohérent dans la résolution (fin de saison 3, Turn Left, Waters of Mars et Father's Day est un des épisodes qui m'a rendu accro à la série) !

Vert a dit…

En même temps il a écrit la sére Jekyll, ça lui a peut-être déteint dessus ^^

Moi j'aime bien ce que fait Moffat (c'est pas sans défaut, mais RTD aussi avait ses vices de fabrication ^^). Comme on dit, we agree to disagree ;D

Marion a dit…

Fiou, je ferai pas un aussi long commentaire que Jaina, mais j'ai tout lu aussi, comme je te l'avais dit par mail :D

Mais j'sais pas trop quoi y répondre, mais quand même, je me dis que ton article mérite un commentaire, parce que c'est du beau boulot !

Bon, et puis en plus, t'as bien géré le timing avec la nouvelle saison qui reprend :D

Hiiiii (déjà vu l'épisode, sympa, mais Rory me manque).

Vert a dit…

Oui c'est de l'organisation scientifique, publier 10 jours avant la nouvelle saison ^^